« J’étudie car je dois expliquer comment écrire à d’autres écrivains, par conséquent j’apprends moi-même. »
Les Artisans de la Fiction interviewent Carlo Lucarelli, star du polar italien avec la trilogie du commissaire De Luca et des inspecteurs Coliandro et Grazia Negro. Carlo Lucarelli est également professeur de narration littéraire à la Scuola Holden (la prestigieuse école de creative writing crée par Alesendro Barico à Turin) et à la Bottega Finzioni, l’école qu’il a fondé à Bologne.
Les Artisans de la Fiction : Carlo Lucarelli, vous enseignez à la Scuola Holden, l’école d’écriture fondée par Alesandro Barrico…
Carlo Lucarelli : J’ai enseigné il y a longtemps à l’école Holden, maintenant j’enseigne à la Bottega Finzioni, une école que nous avons fondée à Bologne.
Il y a beaucoup d’écoles d’écriture en Italie ?
Oui, les plus importantes sont l’école Holden et la Bottega Finzioni.
Quel genre de cours donnez-vous, qu’enseignez-vous là-bas ?
Nous avons quatre domaines. Alors, je commence par le début car la Bottega Finzioni est très particulière. C’est une école qui s’inspire des anciens ateliers de peintres de la Renaissance.
Nous prenons un projet, une idée qui est née à l’intérieur de l’école ou qui vient de l’extérieur, par exemple une idée qu’un réalisateur voudrait développer. Les élèves travaillent avec leur « maître », c’est à dire nous, qui avons plus d’expérience. Nous travaillons ensemble sur le projet.
C’est comme dans les ateliers de peintres où l’on apprenait d’abord à mélanger les couleurs, ensuite à dessiner et puis à réaliser une grande fresque. Je disais donc que nous avons quatre domaines : le théâtre, la littérature, la fiction à savoir le cinéma et la télévision et la non-fiction à savoir les programmes pour la télévision y compris les programmes pour les jeunes et les enfants.
Est-ce que le fait d’enseigner la fiction vous a aidé dans votre travail de romancier ?
Oui, absolument. C’est une expérience que j’ai d’abord fait à l’école Holden et que je vis maintenant à la Bottega Finzioni. J’écris de manière instinctive mais j’ai besoin d’un moment où je m’arrête et j’essaye de comprendre de manière rationnelle ce que je fais.
Quand j’écris des romans, je fais appel à des techniques, à des pensées, à des expériences, à des habitudes. J’étudie car je dois expliquer comment écrire à d’autres écrivains, par conséquent j’apprends moi-même. Quand je suis à l’école, je dois rationaliser tout ça, je dois l’expliquer, j’apprends donc à moi-même mon fonctionnement.
De ce point de vue, l’enseignement m’est très utile, cela m’aide à comprendre et je finis par me dire: « Ah, voilà pourquoi j’ai fait ainsi! ».
J’étudie car je dois expliquer comment écrire à d’autres écrivains, par conséquent j’apprends moi-même. Et surtout j’apprends de mes élèves qui me posent des questions ou qui développent de manière différente les idées que je leur soumets. C’est donc très utile. Cela a été fondamental pour moi.
Comment travaillez-vous sur vos romans ?
J’ai besoin de trois choses : une raison d’écrire, c’est à dire quelque chose qui s’est passée dans le monde et que j’ai envie de raconter dans mon roman; j’ai besoin d’un personnage qui me raconte cette histoire, peut-être bien un des personnages de mes anciennes histoires; et puis j’ai besoin de commencer à visualiser en quelques images ce que je voudrais raconter.
J’ai besoin d’un personnage qui me raconte cette histoire. Ensuite je commence à écrire, sans savoir ce qu’il va se passer, sans avoir une idée de la trame, sans rien savoir, je construis un mystère, je mets mon personnage à l’intérieur de ce mystère et j’avance pour voir jusqu’où il peut arriver.
Réécrivez-vous la trame ?
Je réécris toujours, tout le temps. On pense que le travail d’écrire se situe au moment où l’on s’assoit et l’on met de l’encre sur le papier. Ceci n’est pas écrire, cet instant est le moment où l’on est en train de penser l’histoire. Dans un deuxième temps l’histoire qu’on a pensée, qu’on a construite avec des mots, doit être réécrite. C’est l’union de ces deux moments qui fait l’écriture.
Quels sont les auteurs qui vous inspirent le plus ?
J’ai été inspiré par un auteur italien des années 60 qui s’appelle Giorgio Scerbanenco, en lisant ses livres j’ai compris comment je voulais écrire, mais il y a d’autres auteurs, James Ellroy, Raymond Chandler, Georges Simenon, on pourrait en citer d’autres.
Cependant j’ai toujours eu une conviction qui s’inscrit d’ailleurs dans le discours que je tenais tout à l’heure quand j’ai dit qu’un enseignant apprend beaucoup de ses élèves, eh bien, on n’apprend pas que des classiques, des grands écrivains, on apprend aussi des contemporains. Moi j’ai beaucoup d’amis écrivains, je discute avec eux, je parle beaucoup de ce que je fais, donc beaucoup des auteurs qui m’inspirent sont mes amis, par exemple Giampiero Rigosi ou Simona Vinci.
Quel serait votre conseil aux écrivains en herbe ?
Trois conseils : lire évidemment, puis écrire car étrangement beaucoup de jeunes écrivains écrivent peu, ils écrivent une chose et puis ils se disent: » Voilà c’est fait! ». Il faut écrire tout le temps ! Le troisième conseil est de se faire lire. Beaucoup de jeunes écrivains gardent leurs écrits pour eux ou les font lire seulement à quelques personnes ; au contraire, il faut essayer de se faire lire par le plus de gens possible, même par ceux que l’on sait qu’ils n’aimeront pas, voire qu’ils détesteront ce qu’on a fait, c’est de tout ça qui naît l’envie d’écrire.
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Interview : Lionel Tran
Traduction : Sara Beretta
Remerciements à Laura Combet & à Quais du Polar ainsi qu’à la librairie Vivement Dimanche