Une des questions clés auxquelles doit faire face le romancier est pourquoi lit-on des romans ? Les réponses sont nombreuses : pour se distraire, pour développer son empathie en s’identifiant à d’autres personnages que nous même, pour voyager… Mais avant tout, pour vivre une expérience. Ce qui rend un roman immersif c’est la façon dont l’auteur parvient à faire vivre à ses lecteurs l’impression d’une expérience sensorielle immersive. Cela passe par les stimulis sensoriels présents dans l’écriture du roman. Le romancier brésilien Daniel Galera invité aux Assises Internationales du Roman en 2019, nous confie comment il utilise les détails sensoriels pour faire vivre une expérience forte aux lecteurs.
La description des sentiments
Une des premières technique qu’apprend le romancier débutant est qu’il ne faut pas se contenter de nommer les sentiments ressentis par le personnage de roman. Le travail de l’écrivain est plus complexe : il s’agit de décrire ces sentiments, la manière dont ils se manifestent physiquement, corporellement avant d’atteindre la conscience du personnage. Daniel Galera s’appuie sur les recherches du chercheur portugais Antonio Damásio sur la conscience.
“Il faut fournir la quantité suffisante de stimulis sensoriels dans un roman”
Daniel Galera : Antonio Damásio écrit beaucoup à propos du fait que l’identité humaine et la conscience sont localisées dans le cerveau. Il y a de nombreuses études sur ce sujet, mais Damásio dit que notre identité est connectée à la manière dont notre corps fonctionne et que les informations récoltées par nos sens créent notre conscience C’est ce qu’on appelle la conscience incorporée, dans le sens où votre conscience est connecté au fonctionnement interne de votre corps. En le lisant j’ai réalisé à quel point les stimulis sensitifs sont importants : les 5 sens, la vision, le toucher, l’odeur, les sons.
Quand j’écris mes livres j’essaie d’utiliser la description des sentiments, des sensations, d’une manière qui contribue à donner à mes personnages un sens de leur identité, afin que le lecteur se sente plus immergé dans l’histoire. Pour moi, il faut fournir la quantité suffisante de stimulis sensoriels dans vos mots pour absorber le lecteur dans votre livre. J’utilise ces connaissances pour essayer d’écrire mieux.
Le traitement des détails dans l’écriture de roman
En tant que lecteur, on se laisse absorber par sa lecture, sans analyser comment procède l’auteur. Et beaucoup d’apprentis écrivains, entraînés par le flot de l’écriture se focalisent souvent sur les idées et les thèmes qu’ils souhaitent aborder. Cela se fait au détriment de la spécificité et de la précision de l’écriture. Or, les détails sont essentiels car ils permettent de procurer au lecteur une expérience sensorielle plus profonde.
Daniel Galera : Les détails sont très importants pour rendre un livre intéressant, crédible et immersif. Mais si vous donnez trop de détails, vous risquez d’ennuyer le lecteur, voir de vous l’aliéner donc vous devez trouver un équilibre avec la quantité de détails que vous donnez.
Mais mon expérience m’a apprise que vous pouvez ajouter un peu plus de détails que ce que la plupart des manuels d’écriture ou des professeurs d’écriture vous suggèrent.
Une certaine quantité de détails apparemment inutiles est bonne pour un roman. Quand soudainement vous incluez une petite quantité de détails que vous n’auriez pas besoin de mettre à tel endroit, vous avez plus d’informations, plus de stimulis pour que le lecteur puisse imaginer votre monde. Mais il ne faut pas trop en faire, parce que vous risquez d’ennuyer le lecteur. Il faut trouver un équilibre.
En bonus : la méthode de Daniel Galera
Les détails sensoriels donneront de la puissance, de l’originalité à votre roman, mais ne seront pas suffisants : il ne s’agit pas de se poser à son bureau et de laisser couler le texte en ajoutant des détails. Il existe autant de méthodes d’écriture que de romanciers. Daniel Galera, lui, passe des années à préparer son roman avant de se lancer dans l’écriture.
“je vois la structure du roman dans ma tête”
Daniel Galera : D’habitude l’idée d’un roman met longtemps à apparaître. Ce n’est pas comme si je m’asseyais à ma table et que je décide soudainement d’écrire un roman. Je passe du temps à attendre que des idées apparaissent. Les idées proviennent de différentes sources : parfois de choses que je vois, ou à propos desquelles je lis, parfois de mes expériences personnelles, parfois de la littérature elle-même. Une idée utile doit m’importer intimement. Je pense que chaque écrivain peut sentir quand une idée vaut la peine que l’on écrive à propos d’elle. Et pour moi parfois cela peut parfois prendre des années. J’aime prendre mon temps et commencer par laisser les idées se développer dans mon imagination.
Je sais que certains écrivains préfèrent écrire tout le temps. Ils écrivent tous les jours, ils continuent à écrire pour faire venir les idées. Pour moi, c’est différent. Je passe de longue périodes sans écrire pendant lesquelles je pense à ce que je vais écrire. Ça m’est utile car des connections se font lentement dans mon imagination, jusqu’au moment où je vois la structure du roman dans ma tête. Et puis je peux commencer à écrire.
“ C’est habituel de tout changer. “
Avoir la structure du livre en tête permet à certains écrivains de savoir où ils vont. Daniel Galera ordonne cette structure, l’affine, avant de passer à la rédaction.
Daniel Galera : Je commence à prendre des notes, j’essaie de noter des détails à propos des personnages, l’intrigue. Quand le livre a une structure qui est solide pour la narration, je la note : combien de chapitres, qu’est ce qui va se passer dans chaque chapitre, comment ils vont s’enchaîner dans le roman. Je fais des plans puis je commence à écrire.
Et d’après mon expérience, cette planification ne sera pas exécutée de manière systématique. J’ai besoin d’un plan pour débuter, mais quand je suis effectivement en train d’écrire le roman, c’est habituel de tout changer.Un roman résulte vraiment de ces connexions internes. Il pourra se dérouler sur un jour, ou même quelques heures mais il aura la structure d’une histoire longue.
C’est parfois dur de garder à l’esprit toutes les relations internes entre les personnages et la structure du livre, donc il est important quand vous écrivez de continuer à penser au roman tout le temps, et pas seulement quand vous écrivez. Ayez votre roman à l’esprit tout le temps : durant votre temps libre, quand vous faites quelque chose d’autre, quand vous conduisez votre vélo pour aller au boulot, dans la rue, en mangeant, en prenant une douche. Et laissez ces connexions continuer à se faire dans votre esprit. Je pense que cela rend votre travail plus productif.
Une autre méthode : écrire spontanément
La question de la méthode d’écriture suscite débat : existe-il une méthode universelle pour écrire des histoires ? Lire des interviews de romanciers parlant de leur façon de travailler leurs romans prouve que chaque auteur fini par mettre au point la méthode de travail qui lui correspond. Daniel Galera, lui, a tâtonné avant d’affiner sa manière de travailler sur ses romans.
Daniel Galera : Mon premier roman est vraiment court, il a été écrit en 4 mois, je me suis vraiment assis à mon bureau et je l’ai laissé sortir, je n’ai pas beaucoup pensé à ce que je faisais. Je pense que c’est un bon roman, mais on peut vraiment voir la différence entre ce roman et les suivants, parce que j’ai vraiment commencé à planifier mes romans. Mais le 1er a été écrit presque spontanément. C’était facile pour moi d’écrire comme ça. Mais aujourd’hui, je ne peux plus me contenter de m’asseoir et de laisser le texte couler sans trop y réfléchir. Mais d’autres écrivains écrivent d’une manière différente. Certains écrivains expérimentés vous diront qu’ils ne planifient rien. Ils s’assoient et ce qui leur vient à l’esprit est la chose à écrire. C’est une autre manière de faire. Mais pour moi, le temps passant, je préfère une forme de préparation.
Aller plus loin et apprendre à utiliser les stimulis sensoriels dans votre roman
En tant que lecteur ou en tant qu’apprenti écrivain, vous souhaitez aborder des techniques pour plonger le lecteur au coeur de vos récits ? Les stages techniques “Les outils de la narration littéraire”et “Préparer et construire un roman” abordent avec précision les technique de description, de mise en scène des émotions des personnages ainsi que la structure du roman et de la scène. Nous y parlons également des stimulis sensoriels dans le roman et nous serons ravis de vous y accueillir.
Les propos de Daniel Galera ont été recueillis par Isabelle Casse, stagiaire des Artisans de la Fiction. Merci à elle.
Cet article est publié dans le cadre de l’édition virtuelle des Assises Internationales du Roman 2020