À l’occasion du festival « Quais du Polar » 2022, nous avons donné la parole à Thierry Reboud, représentant Harmonia Mundi.
Harmonia Mundi est un diffuseur, c’est-à-dire qu’il distribue en librairie les ouvrages d’une soixantaine de maisons d’édition. Présent dans le monde de l’édition depuis 30 ans, Thierry Reboud nous raconte en quoi consiste son métier ainsi que l’évolution du monde du livre au cours des trente dernières années.
En quoi consiste le métier de représentant ?
Le métier de représentant consiste à proposer des livres à chaque libraire au travers d’une offre ajustée de catalogues. Thierry Reboud explique qu’outre pour les livres qui se vendent partout de manière indépendante car ils bénéficient d’un lancement particulier, le représentant se doit de « proposer ce qui à cet endroit là est le plus opportun ». Toutes les librairies ne vendent pas nécessairement les mêmes choses, c’est donc au représentant de s’adapter aux attentes des libraires.
En 30 ans, comment le monde de l’édition a-t-il évolué ? Et celui de la librairie ?
Pour l’édition, Reboud a observé un double mouvement de concentration : premièrement, autour des grands groupes (indépendamment de Bolloré-Hachette) comme Gallimard, Acte-Sud, le Seuil (racheté par MDS) qui se sont renforcés au niveau commercial ; puis, autour de nouvelles maisons d’édition indépendantes qui réussissent grâce à une plus grande souplesse.
Pour la librairie, Reboud témoigne d’une évolution quasiment inverse à celle de l’édition notamment à cause de la crise sanitaire qui a favorisé les librairies de proximité : « au commencement, Lyon par rapport à Saint-Etienne, était sous-équipée en librairies proportionnellement au nombre d’habitants, ce qui n’est plus le cas. Maintenant, les librairies de quartier telles que Vivement Dimanche dans le 4ème ou encore La Voie aux Chapitres dans 7ème font un très beau travail. Simultanément, des grosses structures comme Chapitre ou Virgin ont disparu et il ne reste plus que la Fnac qui ne réussit d’ailleurs pas à renouveler ni ses pratiques, ni ses offres ».
Combien de livres sont proposés chaque mois par le représentant ?
Le nombre de livres proposé chaque mois est très variable d’une maison à l’autre. Dans le cas de Thierry Reboud, il s’occupe de 60 à 65 éditeurs parmi les 120 à 130 éditeurs sous contrat avec Harmonia Mundi. Ces éditeurs proposent entre 2 à 3 nouveaux livres par mois. Outre la rentrée littéraire et la fin d’année où le nombre est surdimensionné, il a donc en moyenne 150 titres à présenter aux libraires par mois. Ces 150 ouvrages sont très différents : littérature, sciences humaines, jeunesse, beaux-arts, bande dessinée… et ne demandent pas le même travail. Par exemple, Reboud affirme que pour un livre de sciences humaines la table des matières et l’introduction permettent normalement de savoir de quoi retourne le livre ; pour la littérature, il faut s’intéresser à l’histoire mais aussi au style, à son accessibilité… et donc il nécessite plus « d’intuition commerciale ». De plus, malgré les coups de cœur que lui ou le libraire peuvent avoir, il ne faut pas oublier que le libraire doit « transformer son coup de cœur pour le livre en euros » et donc vendre.
Comment l’offre et la demande ont-elles évolué en 30 ans ?
« L’offre a explosé, la demande aussi » : Thierry Reboud explique que grâce aux nouveaux éditeurs et aux gros éditeurs qui ont cherché à maintenir leur place, il y a eu une expansion de l’offre, que la demande a suivie car dans le cas inverse l’offre se serait essoufflée. Les libraires ne peuvent donc pas représenter toute l’offre mais ils doivent « présenter une offre diverse ». Selon lui, c’est cette diversité plus grande proposée par les libraires qui est intéressant.
Que conseiller à quelqu’un qui voudrait se lancer dans l’édition, dans la librairie ou bien dans un travail d’écriture ?
« Ne pas attendre de faire fortune » : que ce soit pour l’édition, la librairie ou l’écriture, Thierry Reboud insiste sur la rareté de « faire fortune » dans ces domaines. Il souligne également l’importance de « trouver son originalité ».
Plus précisément, pour l’édition il conseille de « bien regarder ce qui se fait ailleurs, pour ne pas recommencer quelque chose qui a déjà été fait, qui n’apporte aucune originalité et cela même dans le cas d’une nouvelle édition des annales du Bac. »
Pour la librairie, il faut selon lui « regarder l’environnement et soit s’installer là où elle peut s’épanouir, soit dans un endroit où elle est attendue ».
Pour l’écriture : il faut « lire ». Reboud insiste sur la quantité de romans publiés (ou non- publiés) qui ne sont que des « redites », notamment dans l’écriture de fiction. De plus, présenter le travail de l’auteur comme un « métier » est selon lui quelque chose qui « ne va pas car 9 livres écrits sur 10 n’ont pas été demandés, donc il n’y a pas de marché ». Au niveau littéraire, les choses se décantent très lentement : « Proust s’est fait éditer à compte d’auteur car il n’y avait pas de marché pour ce qu’il produisait, et repérer un auteur peut être très long, ce qui ne signifie pas qu’une œuvre est bonne ou mauvaise ». Au niveau commercial, il faut faire des études de marché, voir ce qui fonctionne ou non. Thierry Reboud conclut sur l’importance, non pas de totalement révolutionner le « Thriller » ou le « Roman Sentimental » car globalement même s’il y a quelques originalités dans l’histoire, cela reste les mêmes structures, mais « d’écrire un thriller ou un roman sentimental qui soit bon ».
Interview & Caméra : Lionel Tran – Montage : Ryu Randoin