Prajwal Parajuly est un romancier d’origine indienne et népalaise. Son premier roman, « Fuir et revenir » a été publié en France en 2020, et a été sélectionné pour le Prix du premier roman et le Prix Emile Guimet de littérature asiatique du Musée Guimet
Prajwal Parajuly a suivi des cours de creative writing à l’université d’Oxford, ou il l’ enseigne aujourd’hui. Il raconte comment il enseigne l’écriture à ses élèves.
Les Artisans de la fiction : Qu’apprend-t-on dans vos cours ?
Prajwal Parajuly : J’enseigne la narration littéraire depuis huit ou neuf ans. Et je prends énormément de plaisir à enseigner. Ce que j’enseigne à mes élèves, c’est qu’il est possible d’apprendre à écrire. Certaines personnes pensent que ce n’est pas le cas. Si vous avez du talent, un cours d’écriture vous permet d’affiner ce talent. J’enseigne principalement à des étudiants de premier cycle universitaire, et je leur dis, ne nous concentrons pas sur le monde de l’édition pour le moment. Je vous donnerai une vision globale de la manière dont fonctionne le monde de l’édition, bien sûr, mais dans un premier temps concentrons-nous sur les voix de narrateur, les dialogues, les points de vue…
Quand j’enseigne en Amérique, en particulier, je demande à mes élèves d’écrire sur des cultures très différentes des leurs, parce que les Américains ont tendance à lire seulement des livres publiés en Amérique.
Il y a quelques points sur lesquels j’insiste en particulier. Tout ce que vous écrivez, vous le lirez à voix haute avant même qu’on travaille dessus en classe. J’ai réalisé que les jeunes Millennials ne lisent jamais leurs textes à voix haute. Vous savez, lire votre texte à voix haute permet d’en faire ressortir la mélodie, ça vous aide à déterminer si vos mots sonnent juste.
Quand vous enseignez à des débutants, parfois, ils ne savent pas écrire les dialogues. Donc on accorde pas mal de temps à apprendre où placer les ponctuations, à déterminer si un point ou si une virgule doit suivre… doit précéder “dit-il” ou “ria-t’elle”….
J’encourage mes étudiants à lire comme des écrivains. Qu’est-ce que ça veut dire de “lire comme un écrivain” ? Vous lisez très attentivement, vous lisez et relisez les phrases, vous devenez plus conscients de la place des ponctuations. Donc, prenez un exemplaire de “La Ferme des Animaux” que vous avez probablement lu cinq fois déjà et regardez ce qui se passe quand George Orwell dit “Napoléon décida qu’une fois par semaine devait avoir lieu une révolution spontanée. L’idée était de célébrer les victoires des animaux de la ferme, etc.”. C’est le genre de choses que je demande à mes élèves d’approfondir.
Pour apprendre à écrire, pensez-vous que la grammaire soit importante ?
Ça me rend très impopulaire auprès de mes étudiants, mais je suis très pointilleux sur la grammaire et la ponctuation. Je me fiche que vous choisissiez d’écrire en anglais américain ou en anglais britannique, choisissez la langue que vous voulez et tenez-vous-y. Je veux que vous sachiez placer vos virgules, c’est important. Ils passent aussi des contrôles de grammaire, au sein de mes cours. Et vous savez, les étudiants râlent, parce que… qui aime la grammaire, mis à part des auteurs très très sérieux ? Donc oui, ça fait partie de mon cours.
Travaillez-vous en fonction de vos élèves ?
Si vous voulez vraiment que j’aille dans les détails, le premier jour, je leur donne une liste de questions pour savoir qui ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils lisent, ce qu’ils écrivent, ce qu’ils pensent être leurs faiblesses, ce qu’ils pensent être leurs forces…
Je sais dès le premier jour ce que sont les forces et les faiblesses de mes élèves et j’essaye de travailler sur leurs faiblesses tout le long du semestre.
Ensuite, il y a aussi… comment créer des personnages. Je les fais se questionner entre eux, je leur demande de faire une ébauche des personnages des autres étudiants… Donc, Emma questionne Andrew. Andrew et Emma passent une demi-heure à discuter ensemble, et ensuite ils écrivent un paragraphe au sujet du personnage.
Ensuite je leur demande d’incorporer du dialogue dans leur paragraphe. Puis je demande que le paragraphe ne soit plus une description du personnage, mais le début d’une nouvelle. Comment allons-nous y prendre ? C’est comme ça que nous avançons, vous savez. Et il y a beaucoup de rires, beaucoup de gêne, beaucoup de moments de malaise…
Je me souviens d’un cours, quelqu’un avait écrit au sujet d’un personnage féminin qui reniflait sans cesse ses cheveux pendant qu’elle cuisinait. C’était un personnage qui avait de grandes ambitions en tant que cuisinière, elle adorait passer du temps en cuisine.
La personne qui servait de modèle a été très surprise et a dit “mon Dieu, vous m’avez parfaitement représentée”, mais quelqu’un d’autre dans la classe a dit, “vous savez, maintenant que vous en parlez, je sais que ça n’était pas votre intention, mais tout le long de la description, du début à la fin, j’ai trouvé que c’était très sensuel”. L’auteur du paragraphe a dit “Oula, je ne m’en étais même pas rendu compte”, donc, vous savez, c’est comme ça que vous réalisez la multitude d’interprétations possibles d’un seul et même texte.
Pour apprendre à écrire, quelles différences établissez-vous entre le roman et la nouvelle ?
Il y a des similarités, bien sûr, ça ne fait aucun doute. Mais construire une nouvelle… pour que la résolution finale soit satisfaisante… en 4000, 5000 ou 6000 mots, c’est extrêmement difficile. Alors qu’avec un roman, vous avez tellement de place pour jouer ! Vous pouvez faire durer des monologues sur tel sujet ou tel autre sujet, trois pages de description sur un brin d’herbe juste parce que le personnage le souhaite.
Je n’ai plus pu écrire de nouvelles depuis The Gurkha’s Daughter. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai évolué en tant qu’auteur, ou parce que rien de ce que je produis ne me semble assez bon.
J’ai écrit un roman, Land Where I Flee. Ce livre est sorti de moi en trois mois. Je ne sais pas si c’est parce qu’à cette période tout se passait comme dans un conte de fées, les médias me traitaient comme si j’étais le nouveau Gandhi, j’ai signé des contrats d’édition, tout était parfait… bref, il est sorti de moi… Pour moi, chaque mot qui compose une nouvelle doit être essentiel, alors que dans un roman, vous avez la liberté de faire en sorte que le 45ème mot ne soit pas essentiel… Chaque mot doit mériter sa place, mais un roman vous laisse davantage la place pour danser et improviser. Les nouvelles, c’est beaucoup plus exigeant.
Dans votre apprentissage de l’écriture, quelles ont été vos erreurs de débutants ?
Quand vous vous lancez dans un recueil de nouvelles sans avoir beaucoup écrit auparavant, vous faites tellement de fautes dues à l’inexpérience. D’abord, vous pouvez écrire une nouvelle très courte, de 3000 mots, et essayer désespérément de l’écrire à travers le point de vue de dix personnages… et ça ne marche pas très bien.
Donc, il y a eu un gros travail de simplification. Vous réalisez qu’une histoire racontée à travers le point de vue d’une ou deux personnes met bien plus en valeur l’histoire plutôt que d’essayer de rentrer dans la tête de dix ou onze personnes.
C’est possible à faire, c’est possible d’écrire une nouvelle à travers les points de vue de beaucoup de personnages, mais quand j’ai essayé de le faire dans une histoire appelée A cleft in my book, ça ne s’est pas vraiment bien passé.
Il y a des difficultés qui sont propres au dialogue, également. Il y a tellement d’obstacles à surmonter quand c’est la première fois que vous écrivez. C’est la raison pour laquelle il est important de ne pas se décourager.
Souvenez-vous que le premier jet de votre histoire sera toujours de la merde (1). J’espère que j’ai le droit d’utiliser ce terme… si ce n’est pas le cas, alors c’est que vous êtes une sorte de génie qui écrit mal, mais probablement sans s’en rendre compte !
Mon écriture naît principalement dans le travail de réécriture. Vous savez, mon premier jet c’est plutôt des notes, c’est plutôt des… gribouillages sur un bout de papier. Je m’assois devant mon ordinateur et je vomis les mots. J’écris sans m’arrêter, je ne m’intéresse ni aux virgules, ni aux sons, je sais que j’utilise le même mot quinze ou vingt fois dans quatre ou cinq paragraphes à la suite. Mais je sais que je reviendrai sur le texte et que je vais le réécrire encore et encore et encore et encore.
Lorsque vous écrivez, prenez-vous en compte la nationalité des lecteurs auxquels s’adressent vos livres ?
Merci infiniment pour cette question ! Quand j’écrivais mon premier livre, je n’avais aucune idée de qui le lirait. Je ne savais même pas s’il serait publié un jour. Donc dans mon premier livre, il y a beaucoup de mots népalais. Dans mon roman, “Fuir et revenir”, il y a quelques mots en népalais et dans sa traduction française les mots sont toujours là.
Comment gérez-vous l’utilisation de mots étrangers au lecteur, dans votre écriture ?
Il y a énormément de mots népalais dans mes nouvelles également. C’est quelque chose avec quoi j’ai lutté pendant un long moment. Je réalise que la présence de mots népalais ici ou là aide à capturer l’essence de la région, des gens, de la communauté.
Mais ça m’énerve quand je lis un livre et qu’il y a des mots en allemand ou en portugais. Ça perturbe ma lecture.
Mes deux livres comportent de nombreux mots népalais. Beaucoup de mes lecteurs les aiment et d’autres ont trouvé qu’ils étaient trop nombreux… Je ne sais toujours pas… Si vous lisez mes interviews, vous verrez que de temps en temps je suis très ferme sur la question. Après tout, s’il peut y avoir des mots en français dans un livre, pourquoi ça ne pourrait pas être le cas pour les mots népalais ?
Mais parfois, en tant que lecteur, je compatis avec mes lecteurs qui sont gênés par la présence de ces mots en népalais… Et ça m’énerverait qu’il y ait des mots dans un langage que je connais mal.
Quand j’écris, je pense beaucoup au lecteur, vraiment. Il y a des moments où je pense à cette lectrice, grand-mère dans l’Ouest Américain. Quand j’écrivais le livre je ne pouvais pas savoir que je serai lu dans une grande variété de langues, que je serai lu dans des pays aussi lointains que le Kenya ou l’Afrique du Sud.
Maintenant que je le sais, je réalise que je contextualise bien plus que je ne le faisais avant. Et je me demande : est-ce que je me sur-adapte ? En remettant certains mots dans leurs contextes, est-ce que je sous-estime le niveau de connaissance de mes lecteurs ?
Donc, c’est une question avec laquelle je ne suis toujours pas en paix. Je suis toujours aussi perdu que je l’étais au départ. Mais maintenant je sais que j’ai des lecteurs dans le monde entier. Je sais que j’écris pour des lecteurs, et je pense que j’ai le devoir d’être accessible et lisible. Mais posez-moi la question à un autre moment et il est possible que je réponde différemment.
Comment avez-vous géré les aller-retour entre l’anglais et le népalais dans votre écriture ?
Je dirais que l’anglais et le népalais sont mes deux langues maternelles. Je n’arrive pas à écrire aussi bien en népali qu’en anglais, malheureusement. C’est intéressant de l’évoquer. Car dans mon roman, il y a tellement de choses qui se déroulent bien loin du monde anglo-saxon. Donc il y a tout un processus de traduction qui se passe au moment même où j’écris. Une conversation entre deux personnes peut se dérouler en népali, mais dans le livre, je la retranscris en anglais.
On m’a dit que dans ce roman, les dialogues sont excellents. Je n’ai jamais pensé que mes dialogues étaient bons, jusqu’à ce que toutes les critiques de mon livre y fassent allusion. Et une façon pour moi de l’expliquer, c’est qu’un dialogue qui n’est pas directement pensé en anglais prend une autre couleur, quand c’est traduit d’une langue étrangère vers de l’anglais. Est-ce que vous voyez où je veux en venir ?
Oui.
Je viens de me montrer un peu arrogant, donc je vais me dénigrer maintenant. Je viens de chanter les louanges de mes dialogues, donc… j’ai mes forces et j’ai mes faiblesses !
Les récits descriptifs m’énervent tellement. Si quelqu’un me demandait de décrire le jardin qui entoure ce lieu, je veux que ce soit fait en trois phrases et pas une de plus. Je ne veux pas en faire des pages et des pages. Des auteurs comme Rushdie et Ian McEwan écrivent des descriptions sublimes, mais ça n’est pas mon cas…
- – Citation d’Ernest Hemingway, rapportée par Arnold Samuelson dans son livre « With Hemingway: A Year in Key West and Cuba: The first draft of anything is shit / qui peut se traduire littéralement par « Tout premier jet est de la merde« .
Interview, traduction & transcription par Julie Fuster. Nous remercions Lucie Campos, directrice de la Villa Gillet pour son soutien.