« Daemon Voices / la voix des Daemon » compile tous les articles et interventions de Philip Pullman à propos de sa philosophie de l’écriture.
On ne présente plus Philip Pullman, le maître anglo-saxon de la fantasy, auteur d’immenses best-sellers comme la série « Les Royaumes du nord » ou « « La Belle Sauvage ». Mais connaissez-vous le recueil « Daemon Voices – on stories and storytelling ? Un gros ouvrage de plus de 460 pages pour l’instant non traduit en français.
« Daemon Voices » regroupe les transcriptions de conférences données par l’auteur à travers le monde, ainsi que des articles et des préfaces. Au fil des pages, se développe une véritable philosophie de l’écriture. Non que Pullman ergoterait sans fin sur des sujets abstraits ; mais dans le sens où l’auteur fait bien plus que de décrire son processus de travail.
Bien sûr, l’auteur détaille ses techniques d’écriture et la façon dont il s’est imprégné de ses maîtres (Shakespeare, Milton, Dickens…). Il revient aussi très concrètement sur des points techniques fondamentaux de l’écriture de fiction, comme, par exemple, les possibilités offertes par le genre de la fantasy (dans « The Origin of the Universe »), ou encore, la question du choix de point de vue et ses conséquences sur l’histoire que l’on raconte, notamment dans l’essai « The Writing of Stories ».
Comme tout auteur de fiction, la question du narrateur le fascine : « À mon sens, le personnage le plus riche, le plus surprenant, le plus subtil et le plus mystérieux de toute la littérature, surpassant même Hamlet ou Flastaff, c’est le narrateur. Créer cet être spirituel, sans âge, androgyne, amoral, sage, opiniâtre, compréhensif, vif, partial, judicieux, affectueux, crédule et cynique, c’est un privilège si grand que nous devrions payer pour avoir le droit de le faire (…) ».
Mais Pullman ne se contente pas d’admirer. Il décortique les problèmes techniques auxquels un auteur doit faire face : « Où place-t-on la caméra ? Je pense que c’est LA question essentielle de toutes les histoires qu’on raconte. D’où voyez-vous la scène ? Que dites-vous au lecteur à ce sujet ? Quelle est votre position à l’égard des personnages ? Ce sont des problèmes difficiles à résoudre – beaucoup plus difficiles que vous ne le pensez si vous n’avez jamais essayé de le faire. (…) Dans la réalité, vous faites des choix. Vous ne pouvez pas vous en empêcher. C’est ainsi que fonctionne la narration. Vous privilégiez ceci plutôt que cela, du simple fait que vous concentrez l’attention du lecteur sur ceci. Ce que vous abandonnez lorsque vous écrivez au présent, c’est toute une gamme de choses que vous pourriez dire, et qui sont mises à votre disposition par la grammaire ».
Pullman insiste donc sur les choix que l’ auteur opère, mais son discours n’est pas désincarné, et il justifie sa propre esthétique : « Je suis donc très heureux que mon narrateur ait un point de vue distinct, et qu’il traite Lyra de petite sauvage grossière et avide si elle le mérite (…). Le narrateur est de son côté, sur son chemin, mais il ne se limite pas à la perception qu’il a d’elle ; moi, c’est là que j’aime placer la caméra (…).»
L’auteur déploie aussi une dimension morale, et même religieuse, qu’il accole à l’écriture de fiction. Dans son essai sur Milton (« Paradise Lost »), mais dans bien d’autres de ses conférences, Pullman montre comment le fait de raconter des quêtes transformatives amènent l’auteur et le lecteur à se questionner sur l’existence de Dieu… et sur sa forme. Pour Pullman, le divin se trouve dans la possibilité toujours renouvelée d’un être à grandir, à mûrir, et à accepter ses responsabilités. La plus grande forme de maturité, pour un être, étant de prendre ses responsabilités avec joie.
Il est si rare de lire un romancier parler de technique sans être un monstre froid ou – et c’est tout aussi terrible – sans être un vieux réac gâteux effrayé par Hollywood !
Pour un apprenti-auteur, la lecture des essais de Pullman nourrit profondément : une fois le livre refermé, vous n’aurez plus jamais la tentation de croire qu’une bonne histoire se limite à une mécanique bien huilée. Pullman montre qu’une bonne histoire, c’est celle qui transforme son lecteur à travers son personnage, que cet acte-là est sacré, et que pour être bien réalisé, il doit se faire dans la patience et la passion.
Ref : P. Pullman, « Daemon Voices – on stories and story telling », Ed. David Flicking Books, 2017.