Dans « La vraie vie » d’Adeline Dieudonné, une jeune fille fait face à la brutalité de l’existence en souhaitant remonter le temps pour sauver son frère d’un terrible accident. Ce récit poignant, mêlant innocence enfantine et horreurs familiales, a captivé les lecteurs depuis sa publication.
Il nous est tous déjà arrivé, au moins une fois dans notre vie, de nous dire “si seulement je pouvais remonter le temps”. Ça serait pour sauver une relation, dire ou taire des mots. Et si c’était pour sauver un membre de notre famille de l’influence d’une bête féroce enfermée dans la maison ? C’est le désir de l’héroïne du roman “La vraie vie” d’Adeline Dieudonné, publié pour la première fois en 2018 et en format poche depuis 2020.
“À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents et celle des cadavres.”
Voilà comment s’ouvre “La vraie vie”. Si la mention des “cadavres” interpelle tout de go – le père est chasseur et expose ses trophées dans cette quatrième chambre -, les premières pages sont remplies de candeur et de jeux d’enfants entre la narratrice et son petit frère, bien qu’on devine déjà les rapports de force et la dysfonctionnalité de cette famille. Père violent, mère soumise, mais le sourire de Gilles vient tout adoucir et donner du baume au cœur de la protagoniste.
Jusqu’à un accident, l’élément déclencheur, qui est très graphique et traumatisant, suffisamment pour que Gilles se fasse contaminer par la hyène, cette hyène empaillée dans la chambre des cadavres. Dès lors, la fillette n’aura qu’un seul but : remonter le temps, comme elle l’a vu à la télévision avec “Retour vers le futur”, pour empêcher l’accident et retrouver le sourire de Gilles.
“C’est le récit de la perte de l’innocence de cette gamine qui va quitter le monde de l’enfance et qui va être confrontée à la réalité, et effectivement elle va décider que ça ne va pas se passer comme ça.” – Adeline Dieudonné, La grande librairie.
La force de ce roman est la voix de sa narratrice. Du haut de ses dix ans au début du roman, on la suit découvrir la brutalité de la vie et de sa famille, l’impact du traumatisme sur son petit frère même si elle n’a pas les mots pour le comprendre vraiment, et elle a une idée candide pour y arriver : remonter le temps. Elle va grandir avec ce même but pendant des années, mais en changeant de stratégie quand elle comprendra que la foudre ne suffira pas. Adeline Dieudonné lui a donné corps et une voix tout à fait crédible pour une adolescente qui fait son apprentissage de la vie.
Mais bien sûr que cet apprentissage se fera dans la douleur. On sent la menace gronder d’abord dans la chambre des cadavres, ensuite dans la tête de Gilles, et enfin dans ce père, qui pense qu’on est soit gibier, soit prédateur. Puisque nous avons uniquement accès au point de vue de cette petite fille, on ressent tous les moments de dangers, les changements d’habitude dans le quotidien désolé du père. Il est le monstre qu’elle devra affronter pour libérer la famille de son emprise et peut-être sauver Gilles.
Dès sa sortie, le roman a été primé de plusieurs prix, notamment du Renaudot des lycéens.
Aline-Marie Pichet est libraire à
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