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Malentendus entre éditeurs et aspirants auteurs


Le monde de l’édition est souvent perçu par les jeunes auteurs comme une forteresse inaccessible, un univers clos où seuls quelques élus percent. De leur côté, les éditeurs semblent régulièrement déçus par la qualité des manuscrits qu’ils reçoivent. Ce grand malentendu est à la fois le produit de fantasmes, d’une méconnaissance du métier d’éditeur et d’une réalité : il est aujourd’hui plus difficile que jamais d’être publié.
1. Le rêve de l’auteur : reconnaissance, accompagnement et espoir de succès

Dès qu’un manuscrit est envoyé à un éditeur, il est accompagné d’espoir. Pour l’aspirant auteur, être publié représente souvent la consécration d’un travail de longue haleine. De nombreux écrivains débutants voient dans le processus éditorial une porte d’entrée vers la reconnaissance, voire la célébrité. Mais dans la réalité, les chances d’être publié sont minimes et la plupart des auteurs ne reçoivent jamais de réponse.

Les attentes sont souvent irréalistes. Stéfanie Delestré, directrice de la Série Noire chez Gallimard, témoigne de l’inflation des manuscrits qui lui parviennent chaque année : « Je reçois peut-être 1000 manuscrits par an. Je n’en retiens que 1 ou 2. » Elle explique également que de nombreux auteurs débutants n’ont pas fait l’effort nécessaire pour affiner leur texte ou maîtriser la langue, ce qui les condamne dès les premières pages.

Ce sentiment est partagé par Agnès Guérin, qui se désole de la méconnaissance des règles narratives : « On voit trop souvent des récits qui ne vont nulle part, des textes mal structurés. L’écriture, c’est un travail colossal que beaucoup semblent sous-estimer. » Cette réalité contredit souvent les attentes des jeunes auteurs, qui imaginent à tort que leur manuscrit est prêt à être publié sans modification.

2. La réalité de l’éditeur : vendre des livres et gérer la rareté

Du côté des éditeurs, le métier repose en grande partie sur un impératif commercial : vendre des livres. Contrairement à l’image romantique de l’éditeur, plongé dans la lecture des manuscrits avec un verre de vin, le travail quotidien d’un éditeur est souvent loin de cette vision idyllique. Sabine Wespieser, fondatrice de sa propre maison d’édition, décrit la complexité de la chaîne du livre : « Nous sommes responsables du texte, oui, mais aussi de sa fabrication, de sa diffusion, de sa promotion. C’est un travail énorme qui dépasse de loin la simple lecture d’un manuscrit. »

L’éditeur doit avant tout penser à la viabilité économique du livre qu’il publie. Et cela implique de faire des choix difficiles : « Je ne publie que 10 livres par an. Si je publie un auteur, c’est un investissement. Je dois être sûre de son potentiel », explique Sabine Wespieser. En effet, l’éditeur ne peut pas se permettre de publier un livre sans savoir qu’il pourra trouver son public.

Stéfanie Delestré confirme cette nécessité : « Si je sors un livre, il faut qu’il puisse avoir de l’espace en librairie. Les libraires ne peuvent pas tout lire, il faut choisir les bons moments, les bonnes périodes. Trop de livres saturent le marché. » Ainsi, l’éditeur est contraint de faire des choix drastiques, et parfois cruels, pour ne pas noyer les livres sous une offre pléthorique.

3. L’illusion du piston et les portes fermées

Un autre malentendu courant réside dans l’idée que le monde de l’édition est fermé et que seuls les « pistonnés » peuvent espérer être publiés. Stéfanie Delestré rejette cette idée : « On m’accuse parfois de ne publier que des auteurs que je connais déjà. Mais ce n’est pas vrai. Je suis constamment à la recherche de nouvelles voix. » Cependant, elle précise que l’éditeur ne peut tout simplement pas publier tous les manuscrits qui arrivent sur son bureau.

Pierre-Jean Balzan, de La Fosse aux Ours, va encore plus loin : « Je reçois tout et n’importe quoi parfois. On m’envoie des manuscrits parce qu’on a entendu parler de mon best-seller, mais les gens ne se renseignent pas. Beaucoup ne lisent pas eux-mêmes. Il faut envoyer son texte à la bonne maison d’édition. »

Loin de l’idée de favoritisme, les éditeurs insistent sur la nécessité pour un auteur de bien choisir sa cible, et de comprendre les attentes de chaque maison.

4. Une tension inévitable : Quand les attentes se heurtent à la réalité

Le grand malentendu repose sur cette tension permanente entre le rêve de l’auteur et les exigences du métier d’éditeur. Camille Racine, directrice des collections « La Bête Noire » et « Ailleurs et Demain » chez Robert Laffont, explique que certains auteurs oublient souvent que la publication est avant tout une collaboration : « Le travail avec un éditeur est un travail d’équipe. L’auteur est seul lorsqu’il écrit, mais dès qu’il nous soumet son texte, il doit être prêt à retravailler et à accepter les conseils. »

« Un bon manuscrit trouvera toujours preneur, mais cela exige un travail de fond et un investissement personnel que beaucoup d’auteurs débutants n’ont pas encore mesuré. » – Stéfanie Delestré, directrice de la Série Noire chez Gallimard.

Les jeunes auteurs, souvent bercés par une vision romantique de la création littéraire, se heurtent à la réalité froide du marché. L’édition, comme le rappellent tous les professionnels, est une industrie où le temps, la patience et la rigueur sont les maîtres mots. Stéfanie Delestré conclut : « Un bon manuscrit trouvera toujours preneur, mais cela exige un travail de fond et un investissement personnel que beaucoup d’auteurs débutants n’ont pas encore mesuré. »

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