Pour Grégoire Bouillier, l’écriture s’apparente à l’ébénisterie : un travail de précision et de passion, où la quête de la forme parfaite s’effectue dans l’isolement, mais pour le plus grand plaisir du lecteur.
Pour Grégoire Bouillier, écrire c’est comme travailler le bois dans l’atelier d’un ébéniste. Dans une interview exclusive pour Les Artisans de la Fiction, l’auteur de Rapport sur moi et du monumental Le Dossier M compare le bonheur d’écrire au plaisir de concevoir et de peaufiner chaque courbe d’une table :
« Écrire, c’est le même plaisir qu’un ébéniste qui a inventé sa table, qui a une idée de table et qui est là, quand il va poncer. Pour quelqu’un qui n’aimerait pas l’ébénisterie, il se dirait ‘putain, c’est chiant’ ! Mais pour celui qui veut avoir exactement le lisse, l’angle, l’arrondi… l’écriture c’est un bonheur sans nom. »
Sculpter chaque phrase, polir chaque mot
Chez l’ébéniste, un plan de travail brut s’affine lentement jusqu’à devenir une pièce de mobilier précise et élégante. Pour Grégoire Bouillier, ce processus reflète la démarche de l’écrivain :
- Une idée initiale (« J’ai une scène d’ouverture » ou un concept qui “cogne à la vitre”, comme Breton dans le surréalisme).
- Une pratique immersive (« Quand j’écris, j’y consacre 10 h par jour, sept jours sur sept »).
- Un travail sur chaque détail : dans l’interview, il raconte passer des jours sur un seul paragraphe, “jusqu’à ce que tout soit à sa place”.
« Je veux que l’arrondi, l’angle soit exact… Que tout le truc soit exact, c’est un bonheur ! »
Un artisanat solitaire et total
L’ébéniste opère seul, responsable de tout, sauf de la diffusion ; l’auteur, de même, tient entièrement la chaîne de production de son livre. Pour Grégoire Bouillier, cette responsabilité globale est source d’euphorie :
« Le bonheur de l’écriture et de la littérature, c’est qu’on est responsable de toute la chaîne de production […] Il n’y a pas d’autre occasion dans la société pour être responsable de tout. »
Ainsi, la table qu’il “invente” correspond au roman qu’il “compose” : chaque ajustement relève de sa propre exigence, sans équipe pour diluer le pouvoir de décision.
Improvisation et liberté
Contrairement à l’image d’un ébéniste planifiant sa table sur des schémas détaillés, l’écriture de Grégoire Bouillier se fait en “improvisation”. Il compare sa méthode au free jazz : partir de quelques jalons (des “mots-clés” ou “étapes” inévitables) puis se laisser guider par le flux des phrases. Cette liberté, il l’assume pleinement :
« Je ne pourrais pas avoir un plan. Je serais mal à l’aise si j’avais tout scénarisé à l’avance. »
Cet élan improvisé n’exclut pas la minutie. Comme un artisan pouvant reprendre maintes fois un angle de table, il retravaille un paragraphe plusieurs jours jusqu’à trouver la formule exacte qui exprime l’idée latente.
Entre beauté formelle et pensée en acte
Dans l’interview, Bouillier décrit comment chaque phrase devient un “casse-tête” qu’il faut résoudre : respecter l’harmonie du rythme, la justesse du sens, la sonorité. Il veut que “la pensée existe, mais que le lecteur soit séduit”. L’ébéniste, de même, ne cherche pas seulement la solidité mais la beauté, la qualité du grain, la symétrie, la courbe parfaite. Pour l’auteur, le texte n’est pas juste un véhicule d’informations, c’est un objet esthétique.
« Quand j’écris un paragraphe, je veux qu’il y ait un équilibre entre le sens et la forme, comme une table où tout s’imbrique parfaitement. »
Défendre l’individu : la finalité de l’œuvre ?
Grégoire Bouillier mentionne son attachement à défendre l’individu dans ses livres. Comme l’ébéniste sauvant un bois brut pour le transformer en quelque chose d’unique, l’auteur saisit le réel, le confronte à sa subjectivité et en fait un objet littéraire :
« L’art (et la littérature) est le seul espace où l’on peut défendre l’individu. »
Cette métaphore illustre la démarche d’un artisan qui non seulement sculpte, mais protège la matière qu’il travaille, la révèle à elle-même.
Conclusion : l’œuvre comme meuble façonné à la main
Être écrivain, c’est prendre plaisir à la matière même du langage, comme l’ébéniste jouissant du bois entre ses mains. Aucun plan rigide, mais une passion pour chaque détail, à peaufiner jusqu’à trouver la pièce idéale — ou en tout cas, la plus fidèle à l’idée de départ. Le lecteur, lui, reçoit au final un meuble-livre, où chaque mot fait écho à la patience et à l’exigence de l’artisan.
« L’écriture, c’est assumer la responsabilité de tout, comme un artisan qui ne laisse à personne le soin de polir l’arrondi qu’il a en tête. »
Grégoire Bouillier est autodidacte, mais cela ne vous empêche pas de désirer vous former avec les Artisans de la Fiction. Nous vous recommandons en particulier :