« Il faut comprendre comment fonctionnent les histoires »
Paul J. McAuley, né en 1955, est un auteur de science-fiction britannique, biologiste de formation, lauréat de plusieurs prix littéraires anglo-saxons. Les thèmes de ses romans et nouvelles varient entre biotechnologies, uchronies, univers parallèles, space opera ou voyages dans l’espace. En France la traduction de son œuvre inclut le cycle en trois épisodes « Quatre cents milliards d’étoiles » (J’ai lu, 1998-2000), ainsi que plusieurs romans indépendants parus chez Flammarion, Denoël ou Robert Laffont.
Comment avez-vous appris à écrire des histoires ?
Paul J. McAuley : Comme tout écrivain j’ai commencé par lire. À l’enfance je dévorais les romans. J’ai appris comme ça, sans suivre de formation. Mais je dirais que pour devenir écrivain, une étape vitale est de trouver ce qui fonctionne et ne fonctionne pas pour vous. Et la seule façon de le trouver, c’est d’essayer. Encore et encore, jusqu’à la fin d’une histoire. Puis étudier le résultat de façon critique. Il faut apprendre à relire son propre travail objectivement ; c’est la meilleure façon de comprendre ce qui marche ou pas. L’autre façon, c’est de voir si vous pouvez atteindre la fin de l’histoire. Très souvent on commence à écrire et on en arrive à un point où on ne peut plus continuer.
Ça m’est souvent arrivé quand j’étais débutant. Apprendre à dépasser ce point de non-retour est crucial et demande beaucoup de pratique.
Par quoi commencez-vous pour attaquer une nouvelle histoire ?
Souvent par une scène, c’est à dire un personnage dans une situation donnée. J’explore cette situation pour voir où elle entraîne le personnage. Comment réagit-il, que fait-il ? Une autre technique, particulièrement adaptée à la science-fiction ou à la fantasy, est de commencer par poser les caractéristiques d’un autre monde, d’un futur proche ou lointain. On peut aussi penser à une histoire qui explore ou démontre une idée – c’est une troisième méthode. Mais pour les romans, je commence souvent par la combinaison personnage + situation. D’ailleurs il m’est arrivé plusieurs fois de travailler une nouvelle, qui devient un roman en cours de route. J’explore de petites parties d’un monde, et soudain je me rends compte que celui-ci pose des questions plus complexes que prévu. Et que répondre à ces questions nécessite une histoire longue.
Préparer votre univers narratif vous prends-t-il beaucoup de temps ?
Un peu, mais moins qu’à d’autres. J’aime découvrir les choses au fil de l’écriture. Donc à mesure que je rédige le premier jet, je réalise que je manque de connaissances dans tel ou tel domaine. Alors avant d’attaquer la réécriture j’effectue des recherches. Certains écrivains font énormément de recherches et de travail préparatoire, mais pour moi trop de recherches risque de tuer l’histoire. Bien sûr j’aime que mes histoires aient l’air réalistes, mais davantage en ce qui concerne l’intrigue que l’univers narratif.
La consistance de l’univers narratif est plus importante que sa plausibilité. Et pour atteindre cette consistance il faut jeter énormément de choses. Si vous faites beaucoup de recherches, sachez que certaines de vos trouvailles ne serviront pas dans l’histoire. Mais elles en nourriront le background. J’ai écris une série de romans qui se déroule autour des lunes de Saturne et Jupiter, et pour ça j’ai fait énormément de recherches sur ces territoires, leur composition, etc. Beaucoup de mes trouvailles n’apparaissent pas dans le roman. Mais elles m’ont servi, en alimentant mon imaginaire, et en me permettant de mieux connaître l’endroit où évoluaient mes personnages.
Qu’avez-vous étudié avant de devenir écrivain ?
J’ai commencé à écrire très jeune. Gamin j’étais un lecteur vorace. À l’adolescence je lisais beaucoup de science-fiction. Enfant, quand on nous proposait de rédiger soit un essai, soit une histoire, je choisissais toujours l’histoire. Très jeune j’ai essayé d’écrire une paire de romans… Sauf qu’il faut beaucoup de concentration pour écrire un roman ; or quand on est jeune on est distrait, hyperactif, on est intéressé par trop de choses à la fois, donc terminer quoi que ce soit est quasi-impossible. Alors je n’ai fini aucun de ces romans. Mais des années plus tard, je m’y suis remis. Vers 25, 26 ans, quand je préparais mon doctorat en biologie… Quand mon premier roman a été publié, je faisais beaucoup de recherches en biologie.
Ce doctorat en biologie vous a-t-il aidé dans l’écriture ?
En ce qui concerne les recherches, oui. Quand on étudie les sciences on devient coutumier des méthodes de recherche. Quand je lis des articles scientifiques contemporains, je peux en tirer des idées d’histoires… Mais bon, certains auteurs n’ont pas ce bagage de biologiste et écrivent de l’excellente science-fiction. Donc ce n’est pas nécessaire. Peut-être cela accélère-t-il certaines choses. Mais si vous êtes ingénieur dans l’aviation et que vous écrivez un récit sur un vol Paris-Londres, vos connaissances ne vous seront pas forcément utiles. Cela risque même de rallonger le roman de façon considérable, si vous y expliquez tout du fonctionnement d’un avion ! (Rires.)
Vous avez appris à raconter en autodidacte. Selon vous, suivre des cours de narration peut-il apporter quelque chose ?
Quand on écrit on est forcément seul, donc il peut être utile d’avoir l’opinion d’autrui. Surtout au début. Comme je l’ai dit, l’écrivain débutant doit acquérir un regard critique sur son propre travail. C’est crucial. Travailler avec d’autres peut apporter cela. On rédige le premier jet, on obtient des retours critiques, puis on travaille sur le deuxième jet et ainsi de suite. Moi en général après le troisième jet mon éditeur prends le relai, mais avant ça je suis mon propre critique. Les questions que je me pose sont multiples. En quoi cette scène fonctionne-t-elle ? Que manque-t-il dans telle autre ? En quoi ma structure fonctionne-t-elle ou pas ? Que dois-je retirer ou ajouter ? La division de mes paragraphes convient-elle ? On peut apprendre ces choses en solo, mais au début cela peut faciliter la tâche de les apprendre en groupe. Pour s’assurer qu’on ne se trompe pas de direction.
Quand j’avais 18, 19 ans, j’étais membre de la British Science Fiction Association, qui organisait des ateliers d’écriture par correspondance. Tous les membres s’envoyaient leurs travaux. C’était avant internet, donc on recevait les manuscrits par voie postale. On les lisait, on les critiquait, on les annotait, puis on les envoyait au participant suivant. J’ai fait ça pendant quelques temps. Au final on se retrouve toujours seul face à l’écriture, mais oui, un groupe de travail peut aider. Il est évident que certaines choses peuvent être enseignées, en terme de narration. Il y a des façons de raconter des histoires qui s’apprennent.
Connaissez-vous de bons ouvrages pour apprendre la narration ?
Si je devais recommander un seul guide de narration, ce serait certainement « Sur l’écriture » de Stephen King. Il contient des conseils très utiles concernant tous les aspects de l’écriture, et réponds à la question « Comment fonctionnent les histoires ? » Voilà d’ailleurs une chose importante à apprendre.
Il faut comprendre comment fonctionnent les histoires, et pas juste la vôtre, mais toutes les histoires. Quelles sont les règles ? Comment lire avec un regard critique ? Voilà qui est aussi important que d’apprendre à raconter. Car un regard réellement critique vous permets de connaître les trucs, les astuces, les pièges à éviter. Pourquoi tel élément se situe-t-il ici et pas là ? Pourquoi les choses sont-elles racontées dans tel ordre ? Pourquoi telle histoire utilise-t-elle une structure linéaire, et pas telle autre ? Comment cela affecte-t-il la réception du lecteur ? En terme de personnages, quelles informations doit-on communiquer au lecteur, et lesquelles doit-on garder pour soi ? On peut comprendre tout cela en apprenant à lire de façon critique.
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Pour en savoir plus :
Festival des Intergalactiques : http://www.intergalactiques.net
Paul J. McAuley : Site officiel (en anglais) : http://www.unlikelyworlds.co.uk – Fiche Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_J._McAuley
Interview : Loïc Mauran – Lionel Tran – Traduction : Alex Simon
Merci aux Intergalactiques et à Audrey Burki de la Bibliothèque de la Part Dieu de nous avoir permis de réaliser cette interview.