Editrice aux éditions du Serpent à plumes, et co-fondatrice de l’agence littéraire Pierre Astier & Associés, Laure Pécher anime des ateliers d’écriture d’un genre nouveau, Les ateliers du roman, axés avant tout sur les techniques narratives. Son manuel « Premier roman, mode d’emploi » reprend le contenu théorique de ces ateliers.
Laure Pécher, vous êtes l’auteur de « Premier roman, mode d’emploi ». Il s’agit d’un livre atypique : un ouvrage de techniques narratives littéraires en français, écrit par une française. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre ?
« Premier roman, mode d’emploi » représente le contenu théorique des ateliers d’écriture intitulés « Les ateliers du roman » que je propose depuis 2010 au sein de l’Agence littéraire Pierre Astier & Associés. L’origine de ces ateliers d’écriture provient de la lecture de nombreux manuscrits au sein du Serpent à plumes, sur lesquels on retrouvait régulièrement les mêmes problèmes.
J’ai commencé par travailler dans l’audiovisuel, et je me suis dit un jour : pourquoi ne pas faire un livre pour les romanciers, comme il en existe pour les scénaristes ? C’est-à-dire, installer les apprentis romanciers autour d’une table et leur expliquer comment fonctionne un roman, quels sont les ancrages d’un roman avant l’écriture de leur premier roman, ou même s’ils ont écrit un premier roman mais qui a été refusé.
La plupart des ateliers d’écriture ne sont que stylistiques. Travailler sur l’écriture c’est très bien, mais un roman n’est pas que de l’écriture, c’est aussi des personnages, de la construction, une structure. J’ai réalisé qu’il était possible de faire un travail technique avec le roman même si c’est très différent d’une écriture de scénario. Car, même si le scénario est beaucoup plus technique que le roman, il est possible d’adapter le travail de construction pour les romanciers.
Vous travailliez comme éditrice au Serpent à Plumes. Quels étaient les problèmes récurrents que vous rencontriez dans les manuscrits ?
J’ai d’abord été responsable des droits au Serpents à Plume, et sur la fin je suis devenue éditrice. Je travaillais sur la littérature étrangère, mais j’étais affectée à la lecture des manuscrits que nous recevions.
Le pire des problèmes que j’ai repéré dans les manuscrits, c’est un problème avec la voix narrative. Je pense que c’est le principal problème que rencontrent les auteurs. D’ailleurs si j’écris un prochain livre (de techniques), ce sera sur cette question. Certains auteurs peuvent avoir un super univers, ils peuvent avoir une super écriture, un beau personnage, mais ils ne trouvent pas la voix juste pour raconter, la voix du narrateur. Le problème de la voix narrative recoupe la question du point de vue, c’est-à-dire qui porte le récit ? Qui raconte ? De quel point de vue se place-t-il ?
Je vois ce genre de problèmes en atelier : souvent les stagiaires savent qu’il y a un problème sur telle production d’un autre stagiaire, mais ne savent pas d’où il vient. Ils disent « ça sonne faux, mais pourtant c’est juste ». En réalité ce qui sonne faux, c’est la voix du narrateur, parce que ce n’est pas le narrateur qui raconte mais l’auteur. L’auteur, tout à coup, prend la place du narrateur. C’est quelque chose qu’on voit tout le temps.
Les personnages sont un autre problème récurrent. Un manuscrit est rédhibitoire si les personnages sont inexistants, ou s’ils manquent de consistance, en particuliers si les personnages secondaires ne sont pas assez travaillés.
Ce qui est dommage avec tous ces manuscrits refusés, c’est que certains tiennent la route, que ce soit du point de vue de l’écriture ou des personnages, mais ils présentent des problèmes de structure ou de voix du narrateur.
Parfois certains manuscrits ont un début fulgurant. En tant qu’éditeur on est content, on se dit qu’on a un très beau manuscrit. Mais passé la page 58, 70, tout s’effondre. Et les auteurs nous disent « oui, mais si vous aviez lu jusqu’au bout, vous auriez compris. ». Mais non, ce n’est pas possible. Pourquoi est-ce que je m’infligerais ça alors qu’un lecteur ne se l’infligerait pas, et un éditeur non plus ?
Beaucoup d’éditeurs nous disent que la lecture s’arrête parfois à la lettre d’intention d’un auteur. En tant que formateurs, on dit souvent à nos élèves que l’éditeur n’est pas là pour lire jusqu’au bout.
Oui, exactement. Par rapport à la voix narrative par exemple, on sent en trois pages s’il y a une voix ou s’il n’y a pas de voix. ET s’il n’y a pas de voix, on arrête.
Comment en êtes-vous venue à animer des ateliers d’écriture ?
Je ne viens pas des ateliers d’écriture littéraires classiques. Je n’en ai même jamais suivis. J’ai suivi un atelier de scénario (avec un élève d’Yves Lavandier), mais c’est différent des ateliers d’écriture.
Je dis aux personnes qui viennent dans nos ateliers : « c’est dommage de ne lire que des bons romans, parce que lire des « mauvais » romans, ou plutôt des romans « non aboutis », c’est plus formateur ». Surtout quand on participe à un atelier de lecture et que l’on doit justifier ses choix. On nous demande pourquoi un tel ou pas un tel, qu’est-ce qu’il n’a pas, etc. ? De fait, on ne peut pas s’arrêter à la simple remarque « ça sonne faux », « ce n’est pas crédible ». On doit dire pourquoi tel passage sonne faux, pourquoi il n’est pas crédible. On est obligé de s’interroger, d’aller vraiment au fond. Et, une fois que l’on a fait ce travail-là, en dix séances, on peut expliquer à l’auteur tous les pièges dans lesquels il faut faire attention de ne pas tomber.
Il existe une peur que les formations d’écriture reposant sur la narration soient du formatage. Est-ce que c’est quelque chose que vous constatez ?
Le formatage existe de toute façon, en atelier ou hors atelier. Il y a un formatage qui vient de la littérature anglo-saxonne et que les français, malheureusement, essayent de copier. Nous luttons contre ça. Si on donne la même technique d’écriture à des auteurs qui ont tous le même imaginaire, ou les mêmes références, les mêmes modèles narratifs, et cela produit le même roman, c’est du formatage . Et c’est désolant. Mais c’est un problème qui se produit avec ou sans atelier, finalement.
Quand nous commençons les ateliers, nous disons : attention à ne pas prendre cet atelier, ou cet ouvrage comme quelque chose de normalisé. Il s’agit d’une boîte à outils et chacun doit y trouver ce qui lui convient le mieux. Par exemple, moi je ne m’engagerais jamais dans des narrations écrites à la 1ère personne ou en narrateur omniscient, mais je ne dirai jamais à mes élèves de ne pas explorer ces modes de narrations-là. Je leur dirai d’essayer tous les modes de narrations et de voir celui dans lequel leur récit s’inscrit le mieux. Ils ne doivent pas partir avec des idées préconçues du type « une narration à la 3ème personne est mieux qu’une narration à la 1ère personne ».
Mais malgré tout, si les romans que l’on prend comme modèles, et les imaginaires sont semblables, on arrive au même roman à la fin. C’est une question de technique et de culture.
Pourquoi est-ce que la littérature francophone est d’une grande richesse ? Parce que ces auteurs francophones se nourrissent d’un imaginaire qui vient souvent d’autre chose que d’un imaginaire simplement français ou anglo-saxon.
Dans vos ateliers d’écriture, y a-t-il une grande place au travail de réécriture ?
Non, parce que l’on travaille très peu sur l’écriture, il n’y a que deux ou trois séances sur la stylistique et l’écriture. Nous sommes sur le travail en amont : la construction. Il s’agit de se dire : « méfiez-vous avant de passer à la phase d’écriture, poncez vraiment très à fond votre matériau. L’écriture, ça arrive à la toute fin. » Par exemple, si l’on travaille avec un auteur, et qu’il faut lui dire que tel chapitre va sauter : s’il y a passé un mois dessus, il ne veut pas le faire sauter.
Au sein des ateliers des Artisans de la Fiction, nous remarquons que certaines personnes qui ont des esprits très riches, en arborescence, ont dû mal à procéder pas à pas, à faire ce travail de construction préalable. Ce ne sont pas des gens qui appréhendent comme ça, et pourtant ce ne sont pas des gens qui n’ont rien à dire, ou qui n’ont pas de talent. Tandis qu’avec certains profils, plus pragmatiques, ce type d’apprentissage fonctionne mieux…
Il y a deux types d’auteurs. Il y a des auteurs qui savent où ils veulent aller, mais qui ne savent pas comment y aller. Et il y a des gens qui ne savent pas où ils veulent aller mais qui connaissent déjà le chemin qu’ils vont emprunter.
Les deux techniques sont valables. Il faut simplement que les pierres de départ soient bonnes et que ce ne soit pas simplement l’intuition ou une situation de départ. On ne fait pas un roman avec simplement une situation de départ. (Ou bien, oui, il y a des auteurs qui le font, et tant mieux, ils sont géniaux.) C’est un peu comme un dessin. On commence d’abord un croquis grossier avant d’attaquer une peinture. Pour un roman, c’est identique, il faut que les pierres de départ soient bien posées, et qu’elles soient bonnes.
A partir de quoi avez-vous construit les contenus des ateliers que vous proposez ?
J’ai d’abord listé les principaux pièges.
Par exemple, en premier : les pierres de départ sont mauvaises. C’est-à-dire, pourquoi, et quel roman je veux écrire ? Quelle histoire je veux raconter ? Et pourquoi je veux la raconter ? C’est très important le pourquoi je veux raconter ça. Éliminer toutes les fausses excuses, les faux prétextes, etc. La première chose c’est « je veux raconter une histoire » et non « je veux transmettre », « je veux expliquer », « je veux me venger », « je veux…etc ». La première chose c’est « je veux raconter une histoire ».
Et puis après viennent toutes les autres pierres. En premier la construction de personnages. Parce que sans personnages, il n’y a pas de roman. Ensuite, qui va porter le récit ; donc la question du narrateur. Et, une fois qu’on a des personnages qui sont bien construits et que l’on sait qui va raconter, on aborde la question de la structure : les étapes que le récit doit prendre. Et après, il y a la question très délicate de la gestion du temps et de l’information. Il s’agit de quelque chose qui est très peu abordé, même dans mon livre. Car c’est un sujet tellement vaste… qui rejoint d’ailleurs beaucoup la question du narrateur. Puis après viennent les questions de style : comment écrit-on une narration, comment rédige-t-on de la description, comment fait-on parler des personnages ?
Vous voulez dire comment on connecte le lecteur au personnage par les sensations corporelles, les pensées, la vision, etc. ?
Oui mais attention, ça c’est une technique qui est très américaine. C’est possible, mais attention. Dans les ateliers d’écriture américains ou dans les livres, on dit toujours « sachez ce que votre personnage a dans la poche », ce qui est une approche typiquement américaine. C’est bien, et oui il faut le dire aux auteurs, mais ne vous limitez pas à ça, car c’est à ce moment là où l’on crée des romans hypers « formatés ». Si tous les personnages savent ce qu’ils ont dans la poche, connaissent la boisson qu’ils sont en train de boire, la marque de cigarette qu’ils sont en train de fumer …ce n’est pas non plus ce qui fait la construction d’un personnage. Je fais travailler plus sur la construction psychologique, et sur qu’est-ce qui fait que l’on va comprendre de l’extérieur ce que ce personnage ressent ?
Je renvoie toujours mes élèves à la correspondance entre Maupassant et Flaubert qui est d’une richesse absolue sur ces questions. Là, il ne s’agit pas de la technique de la littérature américaine, mais de la technique de littérature classique. Il existe des auteurs classiques qui se sont penchés sur cette question et qui l’ont très bien exprimé.
Les premiers manuels de creative writing s’appuyaient énormément sur la littérature du XIXe siècle européenne et française. Il ne s’agit pas des règles inventées. Ils ont pris les forces déjà existantes.
Avez-vous fait des études aux Etats-Unis?
Non, j’ai passé un peu de temps aux Etats-Unis, mais je suis helléniste de formation. La tragédie grecque est un matériau extraordinaire.
En fait, ce sont vos études d’helléniste qui vous ont fait prendre conscience de la nécessité des structures ?
Exactement. Le cinéma ou les scénaristes hollywoodiens n’ont rien inventé. Dans les formations américaines, ils connaissent beaucoup mieux la tragédie antique que nous. Dans mes ateliers, quand je dis de lire Sophocle, mes participants me regardent consternés et disent que ce n’est pas pour eux. Je leur explique que si c’est pour eux, et qu’en lisant ces histoires, ils comprendrons ce qu’est la dramaturgie et qu’ils découvrirons que le cinéma d’Hollywood n’a rien inventé, mais a seulement repris cette dramaturgie.
L’idée de transmettre des règles se heurte souvent à la peur du carcan ou de la réduction…
Oui, comme si l’écriture de roman était quelque chose de spontané. Comme s’il s’agissait de poésie. Mais pour la poésie, avoir quelques mots à sa disposition suffit pour écrire un poème. Alors que pour le roman, non. Le roman c’est 300 pages, 300 pages qui doivent être lues de manière linéaire, avec un lecteur qui ne doit pas lâcher. Donc non, ce n’est pas inné.
Je prends souvent comme exemple Maupassant qui a envoyé son premier essai à Flaubert. Celui-ci lui a rendu en lui disant qu’il ne serait jamais un grand écrivain. Maupassant a donc remis tout son travail à plat, il a demandé des conseils à Flaubert. Il a essayé de comprendre, puis il a réécrit son œuvre. Et il a même expliqué tout cela dans une préface de son travail.
Quels seraient vos conseils à des apprentis écrivains ?
Prenez un ou deux romans que vous admirez, non pas pour l’histoire mais pour la façon dont l’histoire est racontée, et lisez-les dix fois. De la même façon que lorsque l’on regarde un film dix fois de suite, on finit par voir le découpage, et par comprendre comment le film a été fait. Pour un roman c’est pareil. Si on lit dix fois le même roman, on finit par le comprendre, par rentrer dans ses entrailles, dans les coulisses.
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Les ateliers du roman
Pierre Astier & Associés
Premier roman, mode d’emploi (Zoé éditions)
Interview : Lionel Tran
Transcription : Coline Bassenne
Entretien réalisé durant Quai du Polar 2018
Remerciements : Laura Combet