Autant vous le dire clairement : non, l’écriture n’est pas un « truc » magique qu’on a en soi et qui se réveillerait un jour par hasard ou par chance ! Ne croyez pas non plus qu’il s’agit de s’enfermer dans sa tour d’ivoire et de remplir des pages en ayant l’air inspiré (au clair de lune avec une plume d’oie plongée dans l’encrier). Le travail de romancier c’est d’abord un travail d’apprentissage et d’expérimentation. On peut apprendre l’écriture. Il s’agit de se former progressivement, d’apprendre les outils et de les « faire » à sa main. 9 romanciers internationaux racontent comment ils ont appris à écrire du polar.
Apprendre l’écriture en lisant
Toutes celles et ceux qui apprennent la musique le savent : la premier étape, avant d’apprendre à jouer, c’est d’apprendre à écouter la musique des autres. Pas pour se laisser emporter par l’émotion, mais surtout pour comprendre comment cela fonctionne. Il en va de même pour l’apprenti romancier, qui, s’il est sérieux, devra commencer par apprendre à lire comme un écrivain. C’est-à-dire commencer à se former au métier de romancier, en apprenant ce qu’est l’écriture d’un roman et comment cela fonctionne. La romancière islandaise Yrsa Sigurðardóttir a appris à écrire en apprenant à lire comme un écrivain :
Yrsa Sigurðardóttir : J’ai appris à écrire des histoires en lisant, seulement en lisant. Je suis une lectrice compulsive, j’adore ça. Je suis ingénieure et je n’ai jamais étudié le creative writing ou quoi que ce soit du genre. D’ailleurs, pour devenir un bon auteur, je ne conseille pas de faire des études littéraires mais je conseille de lire énormément. (…) Lisez un livre en entier, puis mettez-le de côté et demandez-vous : “Pourquoi est-ce que j’ai aimé ce livre ?”, “Comment l’auteur a t-il fait pour que je m’attache à ce personnage ?”. Et ensuite il ne s’agit pas de copier mais de trouver sa propre manière de faire.
J’ai relu de nombreux écrivains dont j’admirais le travail
La romancière écossaise Val McDermid a appris à construire une intrigue en disséquant les livres des auteurs qu’elle admirait :
Val McDermid : Quand j’ai commencé à écrire, l’intrigue était mon point le plus faible. Et j’ai passé beaucoup de temps à comprendre comment faire fonctionner une intrigue. J’ai relu de nombreux écrivains dont j’admirais le travail, et j’ai littéralement démonté leurs romans, pour comprendre comment ils marchaient. Quand j’ai commencé à travailler en tant que romancière, je planifiais mes romans très soigneusement, chapitre par chapitre, scène par scène et ça a fonctionné pour moi pendant une quinzaine de livres. Maintenant, j’écris de manière plus spontanée. Je sais quand le livre commence, je sais quand il se termine, je sais qui fait quoi et pourquoi, et je sais quelques trucs qui se déroulent en route.
C’est aussi le cas de l’auteur de polars française Marion Brunet (également auteur jeunesse) qui trouve son inspiration en lisant :
Marion Brunet : D’abord, j’ai lu énormément. J’étais une très grande lectrice, très jeune. Je lisais beaucoup de romans d’aventures. Les premiers que j’ai adorés c’était Jack London, Alexandre Dumas avec Les trois Mousquetaires, Stevenson, etc. On est dans la narration, dans l’aventure. Pour Dumas, c’était le feuilleton : le page turner avant l’heure.
J’ai toujours aimé ça : qu’on me raconte des histoires.
Ensuite, il y a le goût de la langue. Comment on joue avec la langue, comment on la déroule ? On ne raconte pas la même histoire selon la langue qu’on emploie.
Mais j’aime, effectivement, raconter des histoires.
C’est bénéfique de lire les livres qu’on aurait aimé écrire.
A.J.Finn, auteur du best seller “La femme à la fenêtre” (bientôt adapté au cinéma par Joe Wright réalisateur de Orgueil et préjugés) a lu des livres de techniques narrative.
A.J.Finn : Quand j’étais à l’université, j’ai lu le livre de Stephen King consacré à l’écriture (en français « Écriture, mémoires d’un métier »), et c’était très instructif. J’ai pratiqué l’écriture à l’université, mais aussi quand j’étais éditeur. Cela m’a été très utile.
C’est également bénéfique de lire les livres qu’on aurait aimé écrire. C’est une façon de les intégrer. Par exemple pour l’écriture de mon livre, j’ai lu Gone Girl de Gillian Flynn en étudiant ses aspects techniques afin de me les approprier.
Tous les écrivains que nous avons interviewés (plus de 80 : vous pouvez lire leurs interviews ici et là) admettent apprendre l’écriture grâce à la lecture. Pas seulement par une “lecture plaisir”, mais une lecture d’apprenti écrivain. Une lecture technique et non une lecture analytique et thématique. Mais, comme l’apprenti musicien, l’apprenti écrivain, ne peut pas se contenter de comprendre, il doit apprendre à mettre en pratique ce qu’il comprend. D’une part apprendre les règles de construction, et les outils de la narration littéraire, et d’autre part apprendre par la pratique, l’écriture et la réécriture.
Apprendre l’écriture en écrivant
Le romancier français Marin Ledun, a lui-aussi appris comment fonctionne un roman en lisant, mais il a également appris à écrire …en écrivant des choses qui n’avaient en apparence rien à voir avec l’écriture de roman.
Marin Ledun : Le point de départ pour moi a été la lecture. Inconsciemment, je savais déjà comment structurer un livre, car j’en lisais. Je suis autodidacte, mais… Quand j’ai sorti mon premier roman à l’âge de 30 ans, j’avais une pratique de l’écriture d’une quinzaine d’année : une pratique épistolaire. Ça a l’air bête comme ça, mais j’ai vraiment appris ainsi. C’est-à-dire que je passais une heure, deux heures par jour sur des sujets aussi variés que l’amour, les relations amoureuses, l’amitié, ou des sujets plus sérieux, en fonction de mes études… Je travaillais une thèse de doctorat et publiais énormément. Passer d’une écriture scientifique très contraignante à une écriture romanesque a été un vrai plaisir. Le roman était une écriture jouissive.
Et donc le jour où j’ai écrit mon premier roman, je savais déjà former des phrases, utiliser la langue française. Je ne savais pas raconter des histoires, certes, mais je savais mentir, truander, ce que j’avais déjà fait dans mes courriers.
Donc je suis autodidacte, mais j’ai appris par ce biais-là.
Je me suis mis à lire beaucoup de romans policiers
Mais faut-il faire des études de lettres pour écrire ? Les études de lettres en France ne sont pas axées sur l’apprentissage des techniques de la narration littéraire, à la différence des pays anglo-saxon. Le romancier islandais Árni Þórarinsson a suivi un cursus de littérature en Angleterre. Mais il a appris à écrire par la pratique intensive :
Árni Þórarinsson : Vers la fin de mes études mon meilleur ami écossais m’a offert The long goodbye de Raymond Chandler. Ce livre m’a prouvé que les romans policiers sont de la vraie littérature. À partir de ça je me suis mis à lire beaucoup de romans policiers. Quand j’ai quitté l’université j’ai travaillé comme journaliste et ça a été très formateur. J’ai appris à faire des recherches, à écrire rapidement et clairement. Et puis un journaliste rencontre tellement de gens. C’est très utile pour créer des personnages.
La discipline journalistique est extrêmement saine : l’idée c’est de prendre son travail au sérieux plutôt que soi-même. J’ai donc appris la technique grâce à la lecture de romans policiers et le travail de journaliste.
L’auteure de thrillers psychologiques canadienne Shari Lapena a suivit des formations d’écriture :
Shari Lapena : Je n’ai jamais pris de cours de creative writing. Au Canada, nous avons une école privée pour les écrivains. Vous suivez un programme de creative writing et payer pour un mentorat par des écrivains célèbres. Vous leur envoyez votre roman et ils travaillent avec vous. Je me suis formée et j’ai été éditée de cette manière. Je n’ai pas pris de cours de creative writing, mais j’ai suivi des workshops d’écriture, ou plutôt des groupes d’écriture, mais j’ai trouvé cela perturbant, car trop de gens parlaient de trop de textes en même temps. Mais je trouve que travailler avec une ou deux personnes est particulièrement utile.
J’ai commencé à écrire lors de mon enfance et adolescence
L’auteure française Anne-Céline Dartevel a appris à écrire, comme beaucoup d’apprentis écrivains français, en participant à des concours d’écriture :
Anne-Céline Dartevel : Comme beaucoup de monde, j’ai commencé à écrire lors de mon enfance et adolescence. J’écrivais des bribes d’histoires, de futurs grands romans qui s’arrêtaient au bout de dix pages et que, bien entendu, je ne finissais jamais. Puis j’ai passé un long moment sans écrire. Lorsque j’ai eu la trentaine, j’ai découvert les concours de nouvelles. J’ai participé à un premier concours, puis à un deuxième… Ces quelques années ont été pour moi une réelle école d’écriture.
D’abord parce que j’ai découvert un format d’écriture qui me convenait car je pouvais faire aboutir une histoire assez rapidement. Et la brièveté de l’histoire me permettait de beaucoup retravailler la forme. Travailler la forme, ça me plaît. Ensuite, les concours de nouvelles imposent un thème, une photo, quelques mots à utiliser. Ce sont de bons moteurs pour se mettre à écrire.
Le travail d’un écrivain va bien au delà du mythe romantique de l’inspiration qui tombe du ciel. Un romancier doit commencer par comprendre ce qu’est un roman, comment fonctionne une histoire. Il y parviendra en apprenant à lire comme un écrivain, pour analyser comment fonctionnent les romans des auteurs qu’il admire.
À ce savoir technique, il faut ajouter des années de pratique, où, petit à petit, on apprend à tester, et à maîtriser ce que l’on a compris. Mais comme dans tout artisanat de pointe et toute discipline artistique, la formation initiale n’est pas suffisante. Un écrivain sérieux continuera à se former tout au long de sa vie d’écrivain.
C’est toujours un défi d’essayer d’être un meilleur raconteur d’histoire
Le grand romancier américain Craig Johnson (la saga Longmire, adaptée sur Netflix), nous confie qu’il n’a toujours pas terminé sa formation d’apprenti écrivain.
Craig Johnson : J’y travaille toujours ! Vous savez, ça n’est jamais acquis une bonne fois pour toutes. C’est toujours un défi d’essayer d’être un meilleur raconteur d’histoires. Vous vous levez le matin avec l’envie d’être un meilleur écrivain que la veille. Quand vous écrivez le chapitre d’après, vous voulez qu’il soit meilleur que le précédent. Vous écrivez un nouveau livre, vous voulez qu’il soit meilleur que celui d’avant.
Je prends l’insatisfaction artistique comme une qualité. Quoi que vous fassiez, ne soyez jamais pleinement satisfait. Si vous commencez à être satisfait de ce que vous faites, vous êtes fichu, parce que vous n’essayez pas, vous ne vous lancez pas de défi. Le défi est quelque chose d’important, c’est valable pour tout ce que j’écris. C’est au centre du processus de création.
Une autre chose aussi est importante, en particulier quand vous faites des séries. Vos personnages prennent de l’ampleur, ils changent. Vous n’êtes pas le même qu’il y a dix ans, je ne suis pas le même qu’il y a vingt ans. C’est important de permettre aux personnages d’évoluer, de changer et de prendre de l’ampleur.
Aller plus loin pour apprendre l’écriture à votre tour
Pour aller plus loin sur l’apprentissage de l’écriture, nous vous invitons à lire l’interview du grand romancier britannique Jonathan Coe, où il raconte la façon dont il a apprit à écrire
Vous pouvez également voir l’interview passionnante du romancier et professeur de creative writing Chigozie Obioma., où il explique que pour apprendre l’écriture il faut d’abord apprendre à lire comme un écrivain.
Lire les interviews complètes d’Yrsa Sigurðardótti, Árni Þórarinsson, Shari Lapena, A.J. Finn, Marion Brunet, Craig Johnson, Todd Robinson, Jane Harper, Ian Manook, Val Mc Dermid et Marin Ledun.
Si vous désirez vous former à la narration littéraire et à l’écriture de roman, nous vous proposons un cycle annuel : l’Artisanat de l’écriture, d’octobre à juin.
Merci à toute l’équipe de Quais du Polar pour ces interviews.
Pour son édition 2020, Quais du Polar vous propose une édition virtuelle.