David Defendi, auteur, scénariste, réalisateur et journaliste revient dans cette interview sur son parcours. Il nous livre le cheminement qui a été le sien depuis l’écriture de son tout premier roman et partage ce qu’il pense de l’apprentissage de la fiction en France.
Le parcours de David Defendi
David Defendi possède de nombreuses casquettes. En effet il est auteur, scénariste, réalisateur aussi bien pour la télévision que pour le cinéma, mais aussi entrepreneur et journaliste. De fait il a toujours évolué dans les milieux de l’écriture. Il a travaillé plusieurs années à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, en tant que journaliste et collabore avec plusieurs scénaristes (entre autre Ed Burns, co-createur de The wire/ sur écoute et Treme, et le réalisateur Coréen Kim Jee Woon / A Bitttersweet Life ). Il est notamment connu pour ses œuvres : L’arme à gauche (Flammarion), Braquo (Flammarion Noir) et son dernier roman, publié en 2016 : Têtes de dragon (Albin Michel).
C’est en allant aux Etats-Unis que David Defendi découvre les polars et plus particulièrement les œuvres de James Ellroy. Il abandonne la « posture latine empreinte de snobisme” face aux littératures de genre et se lance dans l’écriture d’un roman noir. Très vite, il réalise que l’envie d’écrire et la motivation sont là… mais les résultats se font attendre. Sans connaissances techniques il tâtonne pendant longtemps avant de comprendre comment construire son récit.
“J’ai perdu beaucoup de temps”
David Defendi s’appuie alors sur une trame narrative réelle, inspirée de la vie des gens qu’il a connu. Instinctivement, il sent que son plan doit se dérouler selon un enchaînement spécifique pour que l’histoire fonctionne. Il prépare en amont des ébauches de plan pour ses chapitres qui lui permettront par la suite de structurer correctement son histoire.
En effet, ce que David Defendi pressent à l’époque n’est autre que les différentes étapes d’un archétype d’histoire : toutes les histoires que nous connaissons, lisons, regardons, respectent des grandes structures qui existent depuis les débuts de la narration (les mythologies, les contes, les légendes) : la quête, le voyage du héros, la tragédie etc…
Chacune des ces structures se distingue par de grandes étapes (des « moments clés ») qui produisent le rythme mais surtout la logique et donc la puissance d’un récit. Connaitre, reconnaitre et maitriser ces grandes « histoires archétypales » permettent de mieux raconter les histoires qu’on cherche à raconter et à faire vivre des émotions fortes à ses lecteurs. L’originalité d’un auteur vient de sa capacité à maitriser un archétype d’histoire, de le combiner avec d’autres, d’en faire des variations… mais jamais de l’ignorer.
Les territoires d’écriture : utiliser son vécu
L’intrigue du premier roman de David Defendi, “L’arme à gauche”, est basée sur la vie d’un jeune voyou que le père de l’auteur a fréquenté. Cette histoire, entremêlée au vécu de sa famille, crée une résonance particulière chez le romancier qui s’identifie à ce personnage.
David Defendi utilise ses territoires d’écriture personnels. C’est à dire les histoires réelles dans lesquelles il a baigné, dont il a été le témoin voire le spectateur privilégié. Il utilise ce matériau authentique, cette connaissance singulière pour construire un récit de fiction qui conserve la puissance de la réalité.
Connaitre et maitriser ses territoires d’écriture est l’une des tâches qui incombent à l’écrivain : au delà d’être un bon observateur, l’écrivain doit être à l’affût des histoires et des univers qu’ils connait et utiliser la puissance universelle de leur singularité.
La différence entre la littérature et l’audiovisuel
Le monde de l’audiovisuel se professionnalise plus rapidement que celui de la littérature. Toutefois, le cinéma français a longtemps été dans une démarche intuitive. Le courant de la Nouvelle vague cassant les structures d’histoire, les auteurs se forgent une image de solitaire sans règles qui, peu à peu, entraîne l’irrespect de celui qui crée l’histoire : le scénariste. C’est le réalisateur qui devient la figure du proue du cinéma. D’après David Defendi ce mépris du scénariste tend à évoluer. Et cela en particulier grâce à l’industrie américaine qui rend ses lettres de noblesse à cette profession.
Ed Burns, l’auteur de The Wire, contribue à renverser la donne. Il participe à la prise de conscience de David Defendi qui, en le fréquentant, se met à se demander : pourquoi les scénaristes ne sont-ils pas respectés ? Pourquoi travaillent-ils à l’instinct ? David Defendi réalise alors que nous avons beaucoup à apprendre des anglo-saxons.
“Il existe tout un monde, dans l’angle-mort de l’industrie culturelle française”
Pour David Defendi il faut absolument montrer ce monde aux jeunes romanciers pour leur permettre de manipuler les structures, de les assimiler et de gagner du temps. Cela passe également par l’observation des techniques des grands romanciers et des grands scénaristes. Afin de reconnaître les outils qu’ils utilisent et de les utiliser à son tour.
Le mythe du génie français
David Defendi a vécu et travaillé aussi bien en France qu’aux Etats-unis. Ainsi nous lui avons demandé de partager son expérience et de nous parler de la façon dont l’écriture est abordée dans les deux pays. D’après lui il existe, en France, un véritable mythe du génie, basé sur l’inspiration transcendante et sur le talent, souvent caché, du romancier. Tandis que les américains, comme les autres anglo-saxons, ont un rapport très professionnel à la narration.
Les romanciers ont conscience qu’il existe des règles, des outils, propres à la narration. Et ils admettent volontiers qu’il faut les maîtriser avant de pouvoir s’en défaire et les briser. A l’inverse, pour David Defendi, nous sommes en France dans une forme permanente de révolution. Cette guerre constante contre les cadres et les règles éloignent les auteurs du véritable travail de romancier.
Cette posture freine de nombreux romanciers dans leur apprentissage. Comme David Defendi, ils perdent du temps et s’épuisent à réinventer des outils déjà existants dont ils pourraient simplement se servir.
L’importance des cours d’écriture
La perte de temps n’est pas la seule raison pour laquelle David Defendi défend une approche artisanale de l’apprentissage de l’écriture. En effet, pour lui, connaître les techniques et les outils de la narration lui aurait non seulement éviter de perdre du temps mais aurait aussi fait gagner en qualité ses écrits.
La posture française amène, au contraire, à oublier ses lecteurs et à se lancer dans une véritable course à l’égo, très solitaire, que David Defendi déplore. Il s’agit pour lui d’une manière de refuser le monde, d’en refuser ses règles et par extension de se détacher de la réalité.
Or cela conduit à oublier que le métier premier des romanciers et romancières est d’écrire pour apporter du plaisir, de l’émotion au lecteur.
La perte d’originalité
Dès que l’on parle de règles, d’outils, de techniques les apprentis romanciers pensent qu’ils vont perdre leur originalité. Ils craignent d’utiliser, et même seulement de connaître, les outils à disposition de tous, de peur produire des œuvres standards.
Or comme David Defendi nous l’explique dans cette interview : c’est tout l’inverse.
“Il n’y a pas plus cliché et standardisé que les manuscrits écrits sans règles”
Apprendre les règles permet d’éviter ces clichés, de les reconnaître. Ce n’est qu’ensuite qu’il devient possible de s’affranchir des règles voire d’en inventer de nouvelles. C’est ainsi que les auteurs peuvent faire preuve d’originalité sans tout déconstruire et sans avoir besoin de tout remettre en question.
Conseils aux apprentis
Nous terminons cette interview de David Defendi par les conseils qu’il souhaite transmettre à la prochaine génération de romanciers et de romancières :
- écrire écrire écrire, ne perd pas ton mojo et tes inspirations
- travaille les règles et travailler avec les autres
- se confronter aux autres, très vite car c’est très facile quand on travaille seul de se prendre pour un génie.
- participe à des ateliers d’écriture
- apprend à connaître les outils
- lis des bouquins sur les structures
- travaille en professionnel tout en continuant de te faire plaisir
“Fais toi plaisir mais travaille les règles sinon, à court terme tu vas te faire plaisir, mais tu vas te crasher. En travaillant les règles tu peux te faire plaisir toute ta vie en écrivant. ”