Avez-vous déjà commencé un texte de fiction – petit ou grand – et ne l’avez jamais terminé ? Question stupide, la réponse est forcément “oui”. Car quiconque s’est déjà essayé à l’écriture s’est forcément confronté à… l’échec. Pour un écrivain, le sentiment d’échec peut prendre mille et une formes. L’angoisse de la page blanche, la peur de se relire, la ré-écriture compulsive sans réel objectif… Pourquoi ce sentiment d’échec est-il si courant en écriture de fiction ? D’où vient-il et qu’en faire ? L’échec est-il toujours inhérent au processus d’apprentissage ?
L’échec dans l’apprentissage de l’écriture : un sentiment normal.
Prenons quelques minutes pour étudier un phénomène bien connu de nos élèves. En arrivant dans nos formations, ou en sortant d’un stage (voire de la première année !), nombreux sont ceux et celles qui pensent avoir une idée claire de ce qu’est l’écriture d’une bonne histoire. Ce sont souvent de grands lecteurs de romans. Parfois ils ont écrit quelques nouvelles et ont été très assidus pendant les séances. Pourtant, en poursuivant leur formation, et en approfondissant leur apprentissage, ils tombent des nues.
“Tiens ? L’écriture de fiction demande AUTANT de techniques et de connaissances ? Les auteurs de fiction réfléchissent et retravaillent AUTANT leurs textes ? Il y a autant de savoir-faire à acquérir ? Autant de ré-écritures à produire pour écrire une bonne histoire ?”
Pour certains cette prise de conscience est motivante car cela donne enfin une explication à la difficulté qu’ils ont rencontrée à l’écriture de leurs premiers textes. Mais parfois, elle est douloureuse voire déprimante. Et dans ces cas là, nos élèves sont les “victimes” d’un phénomène connu sous le nom de “l’effet de Dunning-Kruger”. L’effet Dunning-Kruger nous fait croire que nous connaissons très bien un sujet alors qu’on l’a à peine abordé… et est à l’origine d’un sentiment d’imposteur terrible quand on commence à étudier ce domaine plus en profondeur et qu’on réalise qu’il y a tellement à apprendre !
Mais sachez qu’il a une troisième étape à l’effet de Dunning-Kruger : l’étape où notre compréhension du domaine rejoint, peu à peu, à force d’étude, notre maîtrise du domaine. Il y a donc une vie après le choc !
Les raisons de ce sentiment d’échec : Les idées reçues
Nos sentiments d’échecs sont alimentés par des idées souvent fausses que nous nous faisons sur l’écriture de roman, parfois véhiculées par certains médias par méconnaissance du sujet : par exemple lorsqu’un romancier ou une romancière est publié pour la première fois, on parle souvent de “premier roman”. Au-delà de l’aspect purement marketing (c’est toujours excitant de faire découvrir de nouveaux auteurs !), cette formulation est trompeuse : elle fait croire qu’il s’agit du premier roman écrit de l’auteur, alors qu’il s’agit de son premier roman publié… Et cette tromperie ne serait pas dramatique si elle ne faisait pas croire à nombre de nos élèves qu’il est facile d’écrire un roman ! Car dans une très vaste majorité des cas, les auteurs de premiers romans publiés ont énormément de romans non-publiés à leurs actifs (sans parler de tous les autres textes de fiction, type nouvelles par exemple, et tous les textes jamais terminés !).
Le “premier roman” d’un écrivain
Prenons l’exemple d’un « premier roman” récent qui a connu un véritable succès aux Etats-Unis et en Angleterre : “Three Women” de Lisa Taddeo. Il s’agit bien du premier livre de l’autrice et l’on peut se demander comment quelqu’un d’aussi peu expérimenté a pu écrire un roman d’un telle puissance et recevoir autant de prix prestigieux. La réponse est simple : Lisa Taddeo ne s’est pas réveillée un jour avec l’idée de son premier roman.
Lorsqu’on regarde la quatrième de couverture, on apprend que les faits relatés dans le livre ont fait l’objet d’une investigation de plusieurs années de la part de l’autrice. Après un master en creative writing, elle s’est d’abord consacrée à une activité de journaliste spécialisée dans ces questions. Ses recherches ont fait l’objet d’articles publiés dans des revues prestigieuses (The Guardian, The New York Times…) ainsi que de nombreuses nouvelles de fiction. Lorsque Lisa Taddeo s’est consacrée à son premier roman : elle n’était pas une autrice débutante, ni en recherches, ni en dramaturgie et encore moins en narration !
Mais si nous ne disposons pas de toutes ces informations, alors on peut rapidement sauter à la conclusion erronée qu’il suffit de s’y mettre (sans technique, sans apprentissage, sans patience) pour y arriver ! Cette idée est séduisante car elle nous fait miroiter la possibilité d’un succès rapide… un fantasme caressé par beaucoup d’entre nous, mais qui est illusoire et à l’origine de sentiments d’échec et de frustration.
Nous vous conseillons donc de regarder de très près les trajectoires professionnelles des écrivains que vous appréciez le plus et vous verrez qu’ils ont passé de très nombreuses années à se former, puis à écrire modestement (des articles, des nouvelles, des petits romans, parfois des échecs commerciaux…), qu’ils n’ont pas tout de suite été publiés et encore moins rémunérés.
L’apprentissage de l’écriture se fait par échecs successifs.
En effet l’apprentissage de l’écriture de fiction prend du temps, beaucoup de temps, comme tout apprentissage d’un domaine qui requiert la maîtrise de nombreux savoir-faire. Si vous voulez en savoir plus sur les raisons précises qui rendent l’apprentissage de l’écriture si long (et des pistes pour vous aider !), sachez que nous avons écrit un article à ce sujet !
Comme tout apprentissage, l’écriture de fiction se fait pas-à-pas et d’échec en échec. Il s’agit, bien entendu, d’analyser ces échecs pour comprendre leurs raisons et pouvoir avancer. C’est pour cela que nous croyons autant en l’apprentissage par groupe avec un formateur : déjà parce qu’il est rassurant de voir que nous ne sommes pas seuls à trouver cet apprentissage difficile. Ensuite parce qu’il est plus facile d’apprendre de ses échecs si quelqu’un de plus expérimenté vous guide et vous conseille.
Enfin, grâce au groupe, en écoutant et en lisant les textes des autres, on est sans cesse confrontés à ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien dans un texte et sans cesse sollicités pour réparer ce qui ne fonctionne pas encore ! Et tous nos élèves vous le diront : il est mille fois plus simple de corriger le texte de quelqu’un d’autre plutôt que son propre texte, car on est moins aveuglé par son désir et ses propres émotions. A force d’apprendre à réparer les textes des autres, on devient, petit à petit, à même de corriger et améliorer ses propres textes.
L’échec : le moteur d’un écrivain.
Si vous cuisinez régulièrement (comme un chef ou non !), vous le savez : ce n’est pas parce qu’on à l’habitude de faire un plat qu’on le réussit à chaque fois ou qu’on à rien d’autre à apprendre !
Tout travail créatif est un travail qui requiert un apprentissage perpétuel. L’écriture de fiction ne fait pas exception. Il y a mille façons de créer un bon personnage. Mille manières d’écrire un bon dialogue. Et autant de façons d’écrire un thriller, une romance ou un roman d’aventures… et encore plus de façons de le rater !
L’apprentissage et l’échec font partie intégrante de la vie d’un écrivain. Donc le “moment où vous saurez tout faire” n’arrivera pas ! Jamais ! Et ceci est une excellente nouvelle pour tous ceux et celles qui aiment apprendre, tester et améliorer toujours leur écriture car cela signifie que les possibilités sont infinies.
Apprendre est un processus sans fin
… Et nous ne sommes pas les seuls à le dire ! Nous vous invitons à écouter cette interview de Bernard Werber (l’auteur de “Les Fourmis”, “Les Thanatonautes”…). Il partage la difficulté inhérente au travail d’écriture et à tout travail créatif. Construire un récit qui va plonger des personnes dans une aventure ou des émotions puissantes, c’est forcément se donner un objectif très ambitieux et donc se mettre en difficulté.
Il est tout à fait acceptable, aussi, de trouver cette perspective éreintante, épuisante, fatigante et décevante. Car oui, cela signifie que le chemin de l’apprentissage est long et tortueux, et tous les écrivains/écrivaines ainsi que tous nos élèves connaissent des vagues de découragement passagères. Si ces vagues de découragement ne sont pas passagères et que vous trouvez que le travail exigé par l’écriture de fiction ne vous convient pas, qu’il n’est pas ce que vous pensiez : et bien ce n’est pas un drame ! Vous ne serez pas le premier ni la première à vous tromper… et si votre ambition première est l’expressivité libre, il existe plein d’autres champs possibles à explorer.
Le sentiment d’échec : une pression aussi venue de l’extérieur
Il n’est pas rare que nos élèves nous témoignent la situation suivante : maintenant qu’ils suivent un cours de creative writing, leurs proches leur demandent régulièrement quand est-ce qu’ils pourront lire leur roman… ou pire, quand est-ce qu’ils pourront le trouver en librairie !
Comme si l’intégralité d’un artisanat classique pouvait être comprise, intégrée, digérée en quelques séances et sans pratique ! Cette question est aussi absurde que de demander à un grand débutant en piano quand aura lieu son premier concert alors qu’il n’a suivi que quelques cours !
“Je vous conseillerais de vous calmer. Votre but ce n’est pas de publier à tout prix. » Angela Ackerman
Des proches mal informés et mal « formés »
Cette pression, mise par un entourage bien intentionné mais mal informé, peut être très difficile à vivre par nos élèves, en particulier si eux-mêmes se flagellent avec les mêmes obsessions. Mais alors comment faire pour se débarrasser de cette impression ? Quelle est la bonne attitude à adopter ? Nous avons abordé cette question lors de notre entretien avec l’écrivaine et formatrice, Angela Akerman.
“Je vous conseillerais de vous calmer. Votre but ce n’est pas de publier à tout prix. C’est d’écrire un livre qui sera aimé par vos lecteurs. Donc prenez votre temps, travaillez votre technique. Et lorsque vous aurez terminé votre livre, ce sera un très bon livre. Ne vous concentrez pas sur le court terme. Pensez au long terme. Je sais que c’est dur. Avec le temps, vous apprenez à gérer ces échecs, mais quand vous commencez c’est très dur. C’est très frustrant et ça fait beaucoup de mal à votre confiance en vous. Donc n’essayez pas d’accélérer le processus. Parce que vous augmentez vos chances de vous confronter aux échecs et ça ne va pas vous faire du bien. Je conseillerais de prendre votre temps, d’écrire un livre magnifique (…) Prenez votre temps, soyez sérieux.”
Vous l’aurez compris. Que vous décidiez d’apprendre : l’échec fera toujours partie du processus d’apprentissage. Tous les romanciers et toutes les romancières ont du faire face à se sentiment à un moment ou à un autre. D’ailleurs ils sont nombreux à le ressentir encore aujourd’hui. Il est donc tout à fait normal que l’échec soit présent au début de votre apprentissage … et après !
Si vous avez envie de vous former à l’écriture de fiction et de bénéficier de l’expérience d’un formateur et des retours d’un groupe, notre offre de formation est faite pour vous. Nous proposons un cycle à l’année en trois ans (Artisanat de l’écriture) qui vous initiera à des techniques d’écriture de fiction, de dramaturgie et de narration en passant par la recherche de matériaux intéressants. Nous proposons également des formations plus courtes et donc thématiques, sous forme de stages de cinq jours intensifs.