Alixe, auteure de la fanfiction HP 7 ¾, répond à nos questions
Écrit-on forcément pour être édité ? Si c’est le but de certains auteurs, ce n’est pas le cas de ceux qui écrivent de la fanfiction. Cette forme de récit consiste en effet à reprendre l’univers fictionnel de quelqu’un d’autre – en général issu de la pop culture – pour le prolonger à sa manière. S’il n’est donc pas question d’édition, car les œuvres dont sont inspirées les fanfictions ne sont pas toujours libres de droits, l’exercice est toutefois très sérieux. C’est ce que nous explique Alixe, autrice de fanfiction, que nous avons eu le plaisir d’interviewer.
Une fanfiction est une histoire qui reprend l’univers fictif de quelqu’un d’autre (imaginer la suite de l’histoire, développer les personnages secondaires, réécrire l’intrigue en changeant un élément…). Les fanfictions sont publiées en ligne, et les lecteurs peuvent les commenter. Les principaux sites sont Fanfiction.net, ArchiveofOurOwn.org ou encore Wattpad.com. Il existe des fanfictions à partir de séries télévisées (Games of Throne, NCIS), de films (Univers Marvel, Star Wars), de romans (Twilight, Le Seigneur des Anneaux), de mangas (Naruto, Dragon Ball Z), de jeux vidéo (Pokémon, Zelda), etc…
Alixe, très connue dans le milieu de la fanfiction, écrit depuis une quinzaine d’années. Elle est l’autrice de HP 7 ¾, dans lequel elle imagine ce qu’il pourrait se passer pendant les 19 années séparant le dernier chapitre et l’épilogue de la saga Harry Potter de J. K. Rowling.
Son histoire se découpe en 4 volumes d’environ 600 pages chacun. Comme c’est souvent le cas pour les fanfictions, elle l’a publiée sous forme de feuilletons pendant dix ans sur des sites de publications de fanfiction où on peut encore les trouver. HP 7 ¾ est également disponible en PDF, EPUB et KINDLE en téléchargement libre sur son site internet http://hp7troisquart.free.fr/. Elle revient pour nous sur l’écriture de sa fanfiction, ses habitudes et les techniques qu’elle a mise en place au fil des années. Rassurez-vous, l’article est garanti sans spoiler !
Vous avez une formation juridique, ce qui, a priori, implique plus l’écriture de rapport que la narration. Comment en êtes-vous venu à la fiction ?
J’ai toujours eu des histoires dans la tête, mais je n’aurais jamais pensé qu’elles pourraient intéresser quelqu’un. J’imaginais surtout la suite de mes histoires préférées. Les idées me sont toujours venues dans le désordre… À cause de ça, j’ai eu des difficultés dans mes études, surtout pour les dissertations sur table qui sont minutées. Je ne pouvais pas les modifier après coup, j’en garde un très mauvais souvenir. A cause de ça, je pensais que je n’aimais pas écrire.
Je suis tombée sur la fanfiction par hasard, et j’ai découvert que ce que je faisais depuis toujours avait un nom, et que d’autres personnes le faisaient aussi ! J’ai commencé par lire plusieurs fanfictions puis j’en ai corrigé quelques-unes. Ensuite, une idée d’histoire m’est venue. Je l’ai écrite et fait lire à deux personnes qui m’ont encouragée. Au final, ce n’était ni meilleur, ni moins bien que ce qui existait déjà, donc je me suis dit pourquoi pas la mettre en ligne ! C’est comme ça que ça a commencé.
Est-ce que vous avez cherché à vous former à l’écriture ? Ou vous avez simplement « pris la plume » et vous avez commencé à écrire ?
Au départ j’ai tâtonné. Dans mes premières fanfictions, les narrateurs étaient très différents de moi donc ce n’était pas facile. J’ai beaucoup travaillé la grammaire aussi, ce n’était pas mon fort. En lisant les fanfictions des autres, j’ai réalisé que les mêmes fautes revenaient souvent. Alors j’ai décidé de créer une section sur mon site internet pour compiler des conseils d’écritures, les miens et ceux que je trouvais en ligne. J’ai lu quelques livres de techniques aussi, notamment ceux d’Orson Scott Card, Personnages et points de vue (Bragelonne, 2008) et Comment écrire de la fantasy et de la science-fiction (Bragelonne, 2006).
La fanfiction pour laquelle vous êtes la plus connue, HP 7 ¾, se base sur la saga Harry Potter. Vous mettez en scène l’évolution des personnages et de l’univers entre le dernier chapitre et l’épilogue du tome 7, soit sur une période de 19 ans. Comment avez-vous construit vos intrigues ?
Pour commencer, il a fallu réfléchir à ce sur quoi je voulais écrire. Beaucoup de fanfictions sont des romances – j’ai moi-même commencé comme ça – mais j’ai vite réalisé que ce qui m’intéressait c’était d’imaginer l’évolution sociopolitique de la société fictive pendant ces 19 ans. J’ai une formation juridique, donc ça m’a aidé pour certains points, mais j’ai dû faire beaucoup de recherches pour pouvoir écrire quelque chose de crédible.
Ensuite, j’ai repris toutes les informations que l’autrice de la saga, J. K. Rowling, a donné sur l’univers. J’ai décidé de faire une chronologie par année avec tous les événements marquants comme la naissance des enfants des personnages par exemple. A chaque fois que j’écrivais un chapitre, je reportais les événements marquants dans le calendrier (mariage, dîners, vacances, promotions…). Comme ça j’avais toute la chronologie sous les yeux. Ça a vraiment été très utile, surtout lorsqu’on écrit la même histoire pendant 10 ans ! On finit par oublier certains détails…
En 19 ans, les personnages changent. Comment avez-vous travaillé leur évolution ? Et surtout, comment faire pour que cette évolution soit crédible tout en respectant les caractères que leur a donné J. K. Rowling ?
En ce qui concerne les caractères des personnages, je ne me suis pas trop posé de questions au début, j’ai juste écrit. Et puis les lecteurs semblaient apprécier donc j’ai continué. C’est l’avantage avec la fanfiction, on publie chapitre par chapitre donc on a des retours immédiats et détaillés. Pour l’évolution, je n’ai rien planifié en réalité. Je savais à peu près où j’allais, en me basant sur ce que J. K. Rowling avait décidé. Les détails sont venus au fil de l’écriture.
Le plus dur, au final, c’était le nombre de personnages. J’ai fait un fichier Excel avec un code couleur et des filtres pour m’y retrouver. Je notais le nom du personnage, si je l’avais inventé ou repris à Rowling, dans quelle partie de mon histoire il apparaissait, etc… J’ai beaucoup utilisé de personnages « fantômes » de la saga, ceux qui ne sont cités qu’une seule fois et sur lesquels on ne sait rien ou presque. Plus tard, j’ai écrit des fiches de personnages, mais c’était surtout pour les lecteurs. Je les ai mises en ligne pour qu’ils s’y retrouvent.
Il vous a fallu dix ans pour écrire votre fanfiction. Est-ce que vous aviez conscience en commençant que ce projet vous prendrez aussi longtemps ?
Pas du tout ! Au départ, je voulais surtout défendre l’épilogue de la saga, parce que beaucoup de fans ne l’aimaient pas, alors que je le trouvais vraiment logique. Donc je me suis dit : pourquoi ne pas écrire ce qui se passe pendant ses 19 années ? Je voulais convaincre les gens avec une histoire plutôt qu’un argumentaire. J’ai commencé à écrire en pensant que j’en avais seulement pour quelques mois… Finalement, ça m’a pris des années !
Pendant toutes ces années de travail, comment avez-vous construit vos intrigues ? Est-ce qu’il y a des éléments qui étaient prévus dès le départ par exemple ?
Pour HP 7 ¾, j’avais déjà le point de départ et d’arrivée puisque ma fanfiction s’insert entre deux chapitres de la saga. D’ailleurs la dernière phrase de ma fanfiction est la première que j’ai écrite ! Même si j’ai dû la reprendre 10 ans plus tard… L’avantage de la fanfiction c’est qu’il y a un cadre. En l’occurrence, Rowling a donné pas mal de détails sur le futur des personnages. Mais il y a quand même beaucoup de place pour l’imagination.
Pour les intrigues que j’ai moi-même créées, je ne les planifie pas vraiment à l’avance. Elles viennent un peu comme ça. Je note les idées, ou je rédige des scènes, en attendant que ce soit le moment de les écrire parce que j’écris de manière chronologique. Comme ça j’ai toujours quelque chose à publier. Parfois je me force à écrire certains passages de transitions, ou qui relatent un événement qui doit se passer à ce moment-là (comme une naissance par exemple).
C’est vrai que souvent, les idées me viennent d’un détail, d’une réplique… Je pars d’un point et ça devient une espèce d’arc foisonnant. Une fois j’ai carrément inventé toute une intrigue policière juste pour pouvoir inclure une seule réplique !
Avez-vous rencontré des difficultés techniques au cours de l’écriture ?
Un de mes personnages participe à des enquêtes policières, et ça n’a pas été simple. Déjà parce qu’il rencontre beaucoup de personnages, donc il fallait que je m’y retrouve. Le fichier que j’avais créé m’a beaucoup aidé ! Et il y avait les lieux aussi… J’ai tout un fichier Excel avec différents endroits en Angleterre, leurs particularités, leur météo, ce genre de choses. Les intrigues policières, ça n’a pas été facile non plus… Ce n’est pas mon fort. Un de mes lecteurs me faisait souvent remarquer qu’elles n’étaient pas très bien construites. Je lui ai demandé de m’aider et on a construit beaucoup d’enquêtes ensemble.
A part ça je pense que la principale difficulté c’était le rythme d’écriture, surtout pour les tomes 2 et 3. J’avais besoin d’une motivation donc j’ai commencé à publier mes statistiques d’écritures en ligne. J’avais un objectif de 5000 mots par semaine à peu près. Je notais le nombre de mots écrits par semaine, le nombre de chapitres écrits, corrigés, publiés, etc… Les lecteurs pouvaient suivre la progression, ça me motivait vraiment. Pour le tome 3, il y a un suivi sur 67 semaines par exemple.
Avez-vous collaboré avec d’autres lecteurs que celui des enquêtes policières pendant l’écriture de HP 7 ¾ ?
Oui, ça m’est arrivé. J’ai collaboré par exemple avec une autre autrice de fanfiction et nous avons écrit nos histoires en miroir. Mon enquêteur rencontre son personnage au cours d’une enquête. Pour une autre intrigue, l’enquêteur va dans un centre sportif et c’est une de mes relectrices qui a imaginé les personnages. C’est assez commun en fanfiction en réalité, on travaille beaucoup ensemble. On ne gagne rien sur nos histoires, le but c’est seulement d’écrire ce qu’on a dans la tête et de rendre hommage aux fictions qu’on apprécie, donc j’imagine que ça favorise la collaboration ! Et du coup la progression aussi. C’est vraiment bon pour l’égo quand on vous dit que vous avez mal fait, et qu’on vous montre en plus comment faire mieux !
Avez-vous également travaillé avec des bêtas-lecteurs et/ou des relecteurs ?
J’ai travaillé avec les deux. D’abord des relecteurs pour l’orthographe, la grammaire, la syntaxe. Ce n’était pas mon fort au début ! Et puis très vite j’ai eu des bêtas-lecteurs qui me donnaient leurs avis sur les intrigues et la cohérence. Il y a des gens avec lesquels je travaille depuis que j’ai commencé la fanfiction, donc ça fait plus de 15 ans. J’ai vraiment besoin de ça en fait, de cet échange. Ça me donne plein d’idées. Il y a des gens qui arrivent à écrire tout seuls, je ne sais pas comment ils font !
Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de réécrire complètement un passage, une scène, une intrigue suite à une correction ? Au retour d’un lecteur ?
Oui bien sûr ! Une fois, une de mes relectrices m’a fait remarquer que ce que j’avais écrit était vraiment cliché. J’ai tout repris évidemment. Dans HP 7 ¾, j’ai aussi réécrit entièrement une intrigue amoureuse parce que j’ai imaginé un personnage qui changeait tout, et ça me semblait beaucoup plus intéressant.
Je me souviens aussi d’une remarque d’un lecteur qui a changé beaucoup de choses. HP 7 ¾ se concentre vraiment sur l’évolution et l’ouverture de la société fictive. Un lecteur s’est inquiété, il avait peur que j’aille trop loin et que ça change radicalement l’univers. En réfléchissant, j’ai réalisé qu’il avait raison et j’ai mis le holà à ce que j’avais prévu. Ça a changé l’orientation générale, mais je pense que c’est mieux comme ça, c’est plus crédible.
En dehors de la fanfiction, avez-vous écrit des histoires originales ? Ou prévoyez-vous d’en écrire ?
Jusqu’à très récemment, j’aurais répondu non. Mais depuis quelque temps j’y pense. J’ai un projet de roman qui me demandera beaucoup de travail, je pense. Tout ce que j’ai appris avec la fanfiction va beaucoup m’aider je pense. Je reprendrais le système de calendrier, ça c’est sûr ! Et surtout je vais noter systématiquement mes sources, parce que je ne l’ai pas fait au début de HP 7 ¾ et ça a été vraiment difficile à la fin. Mais bon, j’ai déjà mené au bout un gros projet, donc ça ne me fait pas peur.