Les apprentis romanciers se demandent tous : quel point de départ pour un roman ? Par quoi commencer ? Faut il construire d’abord l’intrigue ? Créer des personnages ? Écrire un premier jet et réécrire ensuite ? Tout préparer dans sa tête avant d’écrire ? Six auteurs de polars, de romans noirs, de thrillers racontent le point de départ de leurs romans.
Les auteurs de Quais du Polar interrogés sur le point de départ de leurs romans
L’idéal romantique de l’écrivain voudrait qu’il n’y ait pas de techniques d’écriture, d’outils universels pour l’écrivain, de méthode clés en main pour écrire un roman. Chaque écrivain étant différent, il existe autant de manière d’aborder l’écriture d’un roman que d’auteurs. Il faut commencer. Partir d’un point de départ, et l’écriture s’en suit naturellement. Est-ce vrai ?
Certains écrivains ont besoin d’un déclencheur fort, d’une idée prenante qui surgit sans forcément que l’auteur sache quoi en faire au départ. C’est le cas de la romancière islandaise Yrsa Sigurðardóttir, auteur de romans policiers.
“Une petite idée”
Yrsa Sigurðardóttir : En général je pars d’un personnage, mais il m’arrive aussi de partir d’un lieu que j’ai visité ou encore d’une idée, d’un événement. Bien entendu l’idée de départ n’est jamais l’idée complète du livre. C’est une sorte de graine qui se déploie. Ensuite je réfléchis à comment je peux faire évoluer cette idée, ce que je peux en changer, ce que je peux modifier.
Le temps de préparation prend environ deux ou trois mois, puis la phase d’écriture prend environ 6 mois, en incluant ces nouvelles phases de recherche.
La romancière canadienne Shari Lapena qui écrit des thrillers psychologiques (Le couple d’à côté) prend également pour point de départ de ses romans, une intuition.
Shari Lapena : D’habitude je commence par une idée. Je ne sais pas où elle va me mener mais je pense qu’elle a le potentiel pour se développer dans la bonne direction. À ce stade là j’ignore où l’histoire va aller. Je suis cette idée et des choses commencent à se produire. Je construis beaucoup de fils narratifs simultanés et vers la fin de l’écriture je commence à comprendre comment l’histoire va se boucler.
La romancière écossaise Val McDermid (les aventures de Lindsay Gordon, de Carol Jordan), est à l’écoute de bonnes idées d’histoires. Comme point de départ de son roman elle prend une toute petite idée qu’elle va creuser en développant des hypothèses autour de cette information initiale. Ensuite elle laisse l’histoire maturer, parfois pendant des années, avant de se lancer dans l’écriture.
« Sentir la forme d’une histoire en train d’émerger »
Val McDermid : Un roman commence par une toute petite idée. Quelque chose que je vais entendre, que quelqu’un va me raconter. Parfois c’est quelque chose que je vais lire dans les faits divers du journal ou aux infos à la radio.
Et je me mets à penser, « c’est ’intéressant, je n’en ai jamais entendu parler…et si ceci c’était passé au lieu de ça ? S’ils l’avaient cru lui au lieu d’elle ? ». Ces idées vont jouer à l’arrière-plan de mon esprit. Quand elles se connectent je sens la forme d’une histoire émerger. Au fil du temps elle s’assemble. Quand je m’assois pour l’écrire, elle est prête à se mettre en mouvement. C’est une période qui dure longtemps. Cela peut prendre des années.
Vous devez être patient. Parfois, vous pensez tenir une bonne idée, mais vous n’arrivez pas à trouver la solution de comment raconter l’histoire. Alors vous devez lâcher prise et laisser votre subconscient faire le travail.
L’auteur de polar historiques française Viviane Moore (La saga de Tancrède le normand) part du cadre de son histoire.
Viviane Moore : Je pars souvent d’un lieu. Un lieu que je ne connais pas. Si je ne le connais que par des images, je vais aller faire des repérages, mais c’est souvent le lieu-personnage qui est à l’origine de beaucoup de mes livres.
Je vais faire tout un repérage, travailler, voire y vivre certaines fois. Sinon, je travaille sur des lieux que je connais comme le Japon, l’Italie, la Sicile notamment. Même en France, très souvent, ce sont des lieux qui ont été déclencheurs d’une recherche, d’une histoire. J’utilise le lieu comme un personnage. Le lieu est un personnage à part entière.
Mais avoir un point de départ pour un roman est-il suffisant ? Les auteurs dont vous venez de lire les témoignages attestent que ce n’est pas le cas. À partir d’une idée, d’une situation, d’un lieu, elles développent les fils narratifs, effectuent des recherches, et construisent leur histoire, que ce soit avant de commencer l’écriture, ou en cours de rédaction. Quelles sont les étapes qui suivent l’idée de départ ?
Différentes manières de développer l’idée de départ
La préparation d’un plan
L’auteur de romans noirs satiriques islandais Árni Þórarinsson prépare énormément ses romans, avant de commencer l’écriture.
Árni Þórarinsson : J’ai appris à travailler en amont. Je prends beaucoup de notes avant la rédaction.
J’écris un synopsis pour chaque chapitre, une description et un synopsis pour chacun des personnages. L’idée c’est de savoir quand est-ce que le personnage arrive dans l’histoire et quand est-ce qu’il la quitte.
Quand je rédige, j’ai déjà réalisé un gros travail préparatoire. Comme une carte de l’histoire que je veux raconter. Je suis cette carte même si, bien sûr, il peut m’arriver de m’en éloigner.
Il me paraît impossible d’écrire un bon roman policier sans. En particulier si vous n’avez aucune idée de la manière dont le roman va se terminer. L’improvisation ne fonctionne que si on a une base solide. J’ai vu trop d’auteurs qui ne savent pas du tout ce qu’ils font.La préparation vous permet de travailler plus vite, d’être plus efficace à la rédaction. Je fais beaucoup de travail préparatoire mais ne vous trompez pas, je fais également un gros travail de réécriture.
J’ai des gens proches qui lisent les premières versions et qui font des suggestions que je prends parfois en compte et parfois non.
Un processus extrêmement organique
De son côté, la romancière canadienne Shari Lapena travaille de manière plus spontanée : elle se lance dans l’écriture et précise l’histoire en cours de route.
Shari Lapena C’est un processus extrêmement organique. Je ne planifie pas la fin. J’ai besoin de voir comment les choses se déroulent, comment elles prennent de l’ampleur. Puis je regarde comment ces événements affectent l’intrigue et comment l’intrigue les affecte. Cela devient particulièrement complexe.
La romancière écossaise Val McDermid prépare mentalement son histoire avant de se lancer dans l’écriture.
Val McDermid : Je prépare le roman dans ma tête. Quand je trouve le sens d’une histoire, je commence à me demander : de qui est-ce l’histoire ? Est-ce un roman pour un des personnages de mes séries policières, ou est-ce une histoire qui se tient toute seule ?
Une fois que je connais l’histoire, je peux commencer. En général, quand janvier arrive, je suis en état d’écrire.
Ian Manook, l’auteur français de la saga Yeruldelgger, s’il revendique ne pas préparer le roman avant de débuter l’écriture, mais de partir d’une image qui deviendra le point de départ du roman.
Ian Manook : Je travaille d’une façon particulière, sans plan. Généralement, je commence par une image, que j’ai en tête depuis très longtemps. Par exemple, la première image de Yeruldelgger, la petite pédale qui dépasse de la steppe, c’est quelque chose que j’ai en tête depuis une vingtaine d’années. Je l’ai imaginé dépassant d’une banquise, d’un désert de sable… Donc, je pars d’une image. Et après, je n’ai aucune idée de ce que va devenir l’histoire. Je la construis au fur et à mesure qu’apparaissent les personnages.
En conclusion
Tous les auteurs ont une façon bien spécifique de débuter un projet. Il n’existe pas de recette type pour écrire un roman. L’important est de se lancer à partir d’une base solide, qu’il s’agisse d’une idée initiale forte (un “high concept”, pour reprendre le terme utilisé par John Truby dans son manuel Anatomie du scénario: Cinéma, littérature, séries télé), d’une situation dramatique puissante, ou d’une intuition. Certains romanciers structurent en amont, d’autres se lancent et corrigent.
Dans tous les cas, avoir des bases techniques est indispensable. C’est la maîtrise des outils qui vous permettra de construire votre histoire et de la réparer en cours d’écriture. Le travail sur une histoire peut paraître décourageant au début. Mais c’est ce travail qui vous permettra de faire aboutir votre idée et de la mener à bout une fois votre roman lancé.
Dans cette interview très détaillée, le romancier Nigérian et professeur de creative writing Chogozie Obioma, revient sur le point de départ et le travail de construction qu’il a mené sur son dernier roman “La prière aux oiseaux”.
Au cours de cette rencontre aux Assises Internationales du Roman, l’auteur britannique Harry Parker explique comment il a transformé son expérience personnelle en une idée de roman, et comment il l’a écrit.
Lire les interviews complètes d’Yrsa Sigurðardótti, Árni Þórarinsson, Shari Lapena, A.J. Finn, Marion Brunet, Craig Johnson, Todd Robinson, Jane Harper, Ian Manook, Val Mc Dermid et Marin Ledun.
Merci à toute l’équipe de Quais du Polar pour ces interviews, et pour proposer une édition virtuelle de l’édition 2020 !