Faut-il tout planifier ou se laisser guider par l’improvisation ? Peter F. Hamilton, auteur de space opera, prône un équilibre : six mois de préparation pour éviter la page blanche, mais la liberté d’intégrer de nouvelles idées en cours de route.
De nombreux auteurs s’interrogent sur la manière de bâtir un univers de fiction cohérent et riche. Faut-il tout planifier dès le départ ou laisser l’histoire “se faire” au fil de l’écriture ? Peter F. Hamilton, écrivain britannique de science-fiction (notamment la saga du Commonwealth et Dragon déchu), partage dans une interview exclusive pour Les Artisans de la Fiction sa vision d’une construction “organique” : prévoir l’essentiel pour éviter l’angoisse de la page blanche, tout en se laissant la liberté d’ajuster l’histoire en cours de route.
Dans cet article, nous verrons comment l’auteur concilie préparation minutieuse et improvisation partielle, pourquoi il juge essentielle la cohérence de l’univers et des personnages, et en quoi la pratique quotidienne reste le meilleur moyen d’affûter sa capacité à “construire un monde”.
« Quand on a l’univers narratif, on sait le type de personnes qui vont vivre dans cet univers… tout se mettra en place organiquement. »
1. L’importance d’une étape préparatoire
Peter F. Hamilton avoue consacrer six mois ou plus à élaborer l’arrière-plan d’une trilogie ou d’un roman vaste. À cette étape, il ne rédige pas encore de scènes, mais définit :
- La “grande carte” de l’univers : technologie, politique, économie, types de métiers et rapports de force.
- Les grandes lignes de l’intrigue : où se situe le début, quels chapitres en « gros blocs ».
- Le rôle initial des personnages : même sans tout détailler, il sait qui ils sont, d’où ils viennent, et quels sont leurs enjeux.
« Pendant que je construis cet univers, la question du ‘qui vit là ?’ se pose naturellement. C’est un processus de longue haleine avant de commencer. »
Grâce à cette étape, il évite l’angoisse de la page blanche : chaque jour, il sait à peu près où l’histoire va. Mais ce n’est pas pour autant une prison.
2. Une écriture flexible malgré la préparation
Contrairement à l’idée qu’un plan détaillé enferme l’auteur, Hamilton se réserve une marge d’improvisation. Il compare ce travail à un fil directeur qu’on peut enrichir ou modifier :
« À la moitié du livre, je regarde ce que j’ai écrit. S’il y a de nouvelles idées, je les ajoute… on peut toujours ajuster la seconde moitié. »
Cette double dynamique — préparation en amont et souplesse en cours d’écriture — incarne la notion de “construction organique” : l’univers et l’intrigue grandissent ensemble, se nourrissant mutuellement. Un nouvel élément peut naître d’un personnage ou d’une scène non prévue initialement, mais il s’intègre à la structure globale pour préserver la cohérence.
3. Faire correspondre personnages et univers
Hamilton insiste sur le lien “naturel” entre monde créé et personnages. Quand on sait que, par exemple, la technologie est très avancée, cela dicte en partie le genre de protagonistes que l’on y trouve (ingénieurs, pilotes spatiaux, scientifiques…).
« Quand l’univers est fixé, on voit le type de personnes qui vivent là, l’économie, la politique… tout se met en place. »
L’écrivain part donc d’une intuition ou d’un “concept” clé (par ex. un empire galactique, un univers post-apocalyptique, etc.) et définit ensuite la logique du quotidien : comment on se déplace, qui gouverne, quel est le niveau de richesse, etc. Les personnages naissent en fonction de ces éléments — ils ne sont pas plaqués artificiellement dans un décor.
4. Un processus “organique”
Le mot “organique” résume le mieux ce qu’Hamilton décrit : chaque décision prise lors de la préparation (sur l’économie, la géographie, le degré d’avancement technique…) engendre des conséquences logiques pour :
- La structure : Quelles menaces pèsent sur les personnages ? Quelles opportunités ?
- Les arcs narratifs : Quel type de héros ou d’héroïne se forme dans cet environnement ? Quelles valeurs défend-t-il/elle ?
- L’évolution du récit : Si un nouveau détail apparaît en cours de route, on le relie au cadre existant.
Ainsi, l’univers croît “en symbiose” avec l’histoire et ses acteurs.
5. Se former par l’écriture et l’échange éditorial
Questionné sur sa propre formation, Hamilton répond qu’il a appris en écrivant beaucoup de nouvelles avant de se lancer dans le roman, et en lisant énormément. L’approche organique se peaufine avec la pratique :
« Si vous continuez à écrire, le processus d’écriture lui-même vous apprendra ce qu’est l’écriture. »
En parallèle, il souligne l’importance d’éditeurs ou de lecteurs capables de donner un retour sur la cohérence : “Les éditeurs sont indispensables.” Ainsi, l’auteur bénéficie d’un regard extérieur pour valider l’intégration d’éléments nouveaux ou vérifier que l’organicité de l’univers n’est pas rompue par un ajout trop arbitraire.
6. Conseils pratiques : entre plan détaillé et liberté
Pour construire un univers de manière organique, on peut retenir plusieurs principes inspirés de l’approche d’Hamilton :
- Dresser un canevas initial : répertorier les points fondamentaux (science, économie, sociologie, culture, géopolitique).
- Connaître la fin : même si on laisse place à l’improvisation, savoir au moins “qui va où” et “comment l’intrigue se résout”.
- Ne pas brider les nouvelles idées : à mi-parcours, ajuster le plan pour accueillir des pistes inattendues.
- Faire vivre ses personnages dans ce cadre : leur métier, leurs valeurs, leurs objectifs naissent du cadre.
- Relire régulièrement : pour s’assurer que chaque nouvel élément s’intègre à la logique globale, éviter les contradictions.
7. L’écriture comme responsabilité à long terme
Hamilton conclut en rappelant qu’il n’y a pas de recette unique : “D’autres auteurs n’ont pas besoin de plan.” Mais son exemple montre que, lorsqu’on vise des récits d’envergure (space opera, grande fresque de fantasy, roman-fleuve), avoir un schéma préparatoire diminue l’éparpillement et intensifie la cohérence. C’est l’essence de “construire organiquement” : planifier suffisamment pour connaître l’armature, tout en permettant à l’histoire de respirer et de croître au fil des pages.
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