Les codes étouffent-ils la créativité ? Dans cette interview exclusive, les auteurs Aurélie Desfour et Thomas Martinetti lèvent le voile sur les coulisses de l’écriture de leur roman « Noël en solo ». Entre contraintes des codes du feel good et des histoires de Noël, pressions éditoriales démesurées et défis personnels, ils s’interrogent : écrire dans un genre est-il une bénédiction ou une prison pour l’écrivain ? Plongez dans leur interviews sincère et sans concession qui bouscule les idées reçues sur l’écriture.
1 – Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter ?
THOMAS : Bonjour, j’ai grandi à Nice avant de monter à Paris faire une école de cinéma. J’ai ensuite longtemps travaillé en régie et en production, sur de nombreux tournages. Mais je n’ai jamais arrêté d’écrire des histoires depuis le CM2 !
Passionné de séries TV, j’ai réussi d’abord à travailler sur une série jeunesse, avant de vendre une dizaine de concepts variés à différentes productions. En parallèle, j’ai coécrit une trilogie de bande dessinée aux Humanoïdes Associés, et j’ai autoédité une trilogie de romans, un thriller psychologique sur fond d’usurpation d’identité, qui emmène mon héroïne à travers la Norvège.
« Avant de collaborer avec Aurélie sur NOËL EN SOLO, j’ai écrit un thriller domestique intitulé NE DESCENDS PAS. »
AURÉLIE : De mon côté, je n’ai jamais eu de plan de carrière, mais j’ai toujours su que je voulais écrire des romans. Enfant, j’avais commencé un roman policier avec pour personnages principaux mon chat et mon chien. J’ai ensuite souvent écrit les lettres de motivation et CV d’amis, tout en rassemblant une documentation énorme pour un roman.
« Il y a 20 ans, passer à l’écriture me semblait être une tâche insurmontable. »
(Je suis en train de reprendre ce projet resté au stade de recherches, sous une forme différente : une saga familiale pour l’audiovisuel.) J’ai donc commencé par envoyer des projets amusants à des éditeurs jeunesse. Mon premier projet était un fourre-tout : un almanach de monstres avec des fiches personnages, des horoscopes de monstres, des recettes de monstres, des histoires… Après plusieurs péripéties éditoriales, ça a été payant : j’ai très vite pu vivre de l’écriture jeunesse, enchaînant les commandes.
« Depuis 12 ans, j’écris donc des livres pour enfants. »
L’an dernier, en parallèle, j’ai eu l’opportunité d’écrire trois romans sur commande : un thriller psychologique, un feel good et une romcom de Noël, en binôme avec Thomas.
2 – C’est quoi un feel good ?
THOMAS : Pour moi, un roman, ou une histoire “feel good”, c’est l’équivalent pour le drama, d’une comédie romantique pour l’amour. C’est-à-dire qu’on connaît l’objectif dès le départ : ça va bien se finir. Mais tout l’enjeu réside dans le “comment ?”
Plus ça commence mal, plus on est curieux de savoir comment les protagonistes vont s’en sortir. Globalement, ce sont des histoires plutôt bienveillantes, mais cela n’implique pas selon moi qu’elles doivent être “trop gentilles”.
« En tant que lecteur, j’apprécie le rythme soutenu d’une histoire et une certaine tension permanentequi me tient en haleine jusqu’aux dernières pages. »
AURÉLIE : J’ai lu récemment la définition d’une autrice qui préférait parler de “livre optimiste ancré dans la réalité”. Il me semble que c’était Magali Discours. Je trouve que c’est une bonne définition.
3 – Pour être positive, une histoire doit-elle ne pas avoir de tension ?
THOMAS : Je ne crois pas à une règle absolue pour les histoires “positives”. Mais comme je le disais juste avant, plus la situation de départ est périlleuse, plus on a envie de savoir comment les protagonistes vont s’en sortir.
Alors cela peut se traduire par de la tension, selon les enjeux et le ton général choisi.
AURÉLIE : Je sens la question piège ! Il faut toujours de la tension, quel que soit le type d’intrigue.
« Sans tension, pas de conflit. Sans conflit, pas d’histoire. »
4 – Quels sont les codes d’une histoire de Noël ?
THOMAS : La période de Noël est bourrée de codes, et les histoires qui s’y déroulent les adoptent naturellement. Pour moi, la principale c’est la temporalité qui délimite et rythme le récit : un compte à rebours jusqu’au réveillon, puis le 25 décembre.
Deuxième incontournable, les rassemblements : familles, amis, couples, collègues, mais aussi inconnus. Noël justifie (et permet) toutes sortes de réunions de personnages volontaires ou forcés. Enfin, tous les codes de cette fête offrent autant de supports narratifs aux auteurs : cadeaux avec un sens caché, faux-semblants derrière une soirée décorée, lieux métamorphosés pour les fêtes…
« Le défi est le même que pour nous tous chaque année : surprendre sans trahir la tradition. »
AURÉLIE : Noël renvoie à l’enfance. C’est à la fois, l’heure des réunions familiales, d’un bilan de fin d’année et une période d’espoir.
« On doit créer une bulle, un moment hors du temps pour les personnages avec la possibilité d’un nouveau départ. »
« Dans les histoires de Noël, le protagoniste a envie d’y croire, même s’il galère. »
5 – Travailler avec des codes, n’est-ce pas contraignant ?
THOMAS : Qu’il s’agisse des codes de Noël, ou de la comédie romantique en générale, ils représentent pour moi une sorte de langage indispensable à connaître pour mieux s’en affranchir.
« On joue avec des références en les renouvelant sans cesse. »
Une RomCom de Noël, c’est ni plus ni moins qu’un récit de “genre”. Au même titre que l’horreur, la dystopie ou le polar, on joue avec des références en les renouvelant sans cesse. Pour répondre à la question : je trouve au contraire que c’est très amusant.
En fait, pour moi écrire un récit d’un genre donné doit être aussi ludique que le lire, entre passages obligés et surprises.
AURÉLIE : Non, au contraire, on peut s’appuyer dessus, et en détourner quelques-uns pour trouver sa touche d’originalité.
Par exemple, dans une histoire de Noël, la temporalité est très importante. En général, il y a un compte à rebours jusqu’au 25 décembre, où l’histoire culmine. On a gardé le compte à rebours, mais on a situé la majorité de l’action après Noël. Notre histoire commence le soir du 22 décembre. Notre héroïne est déprimée à l’idée de passer Noël pour la première fois de sa vie sans sa fille.
« Elle se met donc en tête de rendre magique le réveillon du jour de l’an, jour où elle la retrouvera. »
6 – Comment avez-vous travaillé sur « Noël en solo » ?
THOMAS : Il s’agit d’une aventure assez atypique. Aurélie a écrit une nouvelle, que nous avons décidé d’adapter en mini-série TV, avant une opportunité inattendue de ressortir cette histoire au format roman !
AURÉLIE : C’est une longue histoire ! Il n’était pas prévu que ce soit un roman, et encore moins qu’on l’écrive à deux.
Ça a commencé en 2020. J’étais dans une période où mes commandes jeunesse étaient principalement l’écriture de documentaires (sur Marie-Antoinette, Nelson Mandela et les inévitables dinosaures). À ce moment-là, j’avais déjà écrit de très nombreux livres, mais leur format était court. Mon record personnel en fiction était un petit roman jeunesse de 35 000 signes. J’avais envie d’écrire une nouvelle pour m’amuser, en l’autoéditant en numérique sur Amazon, sans autre objectif. J’ai écrit une scène, sur 50 000 signes : un réveillon de Noël en mode déprime (mais sur un ton léger) dans un bar californien situé dans les Pyrénées où se regroupent tous les anti Noël du coin. Mon héroïne, Fanny, a un rendez-vous Tinder de dernière minute avec un mec dont elle ignore tout.
« Cette nouvelle a reçu un très bon accueil, notamment auprès des chroniqueuses littéraires. »
J’ai commencé à recevoir des messages me demandant une suite. J’ai un temps envisagé de l’écrire sous forme de roman épistolaire et j’avais d’ailleurs commencé à travailler dessus, mais mes commandes jeunesse et mes autres projets m’accaparaient. En parallèle, Thomas et moi développions des projets pour l’audiovisuel. Nous avons entendu parler d’une recherche de RomCom de Noël de la part des diffuseurs, et nous avons donc décidé de partir des personnages de ma nouvelle.
7 – Avez-vous fait des recherches ?
THOMAS : L’idée d’écrire une romance de Noël ensemble remonte déjà à plusieurs années, au cours desquelles nous avons lu et vu bon nombre d’histoires du même genre. Dès le départ, nous voulions garder l’ancrage réaliste de la nouvelle d’Aurélie, avec une maman solo.
D’ailleurs, la série HOME FOR CHRISTMAS (Netflix) centrée sur une célibataire confrontée au compte à rebours de Noël pour trouver un compagnon, nous a pas mal inspirés, comme les romans DASH & LILY (adaptés aussi sur Netflix) pour le côté ludique et jeu de piste.
AURÉLIE : Pas tant que ça, c’est un roman qu’on a construit, qu’on a beaucoup réfléchi, mais on a fait beaucoup moins de recherches que pour nos précédents romans.
Déjà, le thème de la maman solo, je connais bien, même si cette période de ma vie n’a pas duré longtemps, je vois ce que c’est quand on n’avait jamais envisagé de divorcer et qu’on se retrouve à être une sorte d’échec sur pattes et à très mal vivre le fait de se voir amputée de la présence de son enfant une semaine sur deux.
« Ça m’a beaucoup changé de mes précédents romans où tout était calculé et vérifié. »
8 – Avez-vous réécrit ?
THOMAS : Comme j’ai eu moins de deux mois pour écrire la V1, je n’en ai pas eu le temps ! Disons que nous avons essayé d’être le plus complémentaires possible, entre mon premier jet rapide et le retravail plus méticuleux d’Aurélie.
AURÉLIE : J’ai eu environ un mois pour la relecture / réécriture. L’avantage que l’on a, c’est qu’on se fait entièrement confiance et qu’on est habitués à travailler ensemble.
Sur la trilogie nordique de Thomas, je suis beaucoup intervenue pour fluidifier des passages, réorganiser des informations… Thomas, lui, a toujours beaucoup d’idées lorsque je bloque sur une intrigue. En lisant la V1 de Thomas, j’ai eu pas mal de surprises. Certaines fois, je me suis dit “OK, je n’aurais jamais écrit ça comme ça, mais ça fonctionne, et ce n’est plus seulement mon histoire, donc je garde” et d’autres fois, au contraire, j’ai complètement réécrit des scènes voire chapitres.
« J’ai aussi pu mieux introduire certains personnages, préparer des ‘paiements’… »
9 – Pensez-vous qu’il faille se former pour écrire ?
THOMAS : Oui ! D’ailleurs, j’ai eu comme beaucoup, le sentiment prétentieux d’en savoir assez pour écrire de bonnes histoires.
J’ai pensé un temps qu’il me suffisait de beaucoup lire, voir des films et travailler suffisamment dur pour accoucher de meilleurs récits. C’est archi-faux ! On obtient des résultats, mais comme en cuisine, on manque de technique et on reste approximatif, sans jamais atteindre le niveau imaginé…
« Les formations, les livres sur l’écriture, et les rencontres avec d’autres auteurs sont indispensables. »
AURÉLIE : J’ai ruiné l’Afdas en formations ! Et je continue…
10 – Comment vous êtes-vous formés à la narration ?
THOMAS : Mes premiers souvenirs remontent très loin, avec les toutes premières “rédactions” à la fin de l’école primaire et de véritables découvertes, quant aux bases de l’écriture. J’ai eu ensuite la chance d’avoir une prof de français exceptionnelle pendant mes 4 années de collège.
Plus tard, j’ai apprécié les cours de scénario au sein de mon école de cinéma, qui m’ont permis de mieux cerner la “charpente” d’une histoire. Puis, je dois le reconnaître, j’ai eu le sentiment (totalement faux !) que j’en savais assez pour écrire de bonnes histoires… Heureusement, j’ai fini par réaliser mon erreur, et suivre plusieurs formations de scénariste, dont celle où j’ai rencontré Aurélie.
AURÉLIE : J’ai commencé il y a maintenant plus de 15 ans, à Toulouse. Le père de ma fille avait toujours voulu faire du cinéma, mais avait échoué au concours d’entrée d’une école. Comme je suis très forte pour motiver les autres, je l’ai poussé à créer des projets en autodidacte. Je lui ai offert 2 livres sur le scénario : STORY de McKee et SCÉNARIO : LES BASES DE L’ÉCRITURE SCÉNARISTIQUE, de Syd Field. Voyant qu’il ne les lisait pas, je les ai repris et les ai dévorés. Ça a été une révélation.
Moi qui ne rêvais que de romans et de littérature blanche, j’ai découvert la structure, les arches et tous les outils de la narration. On a ensuite co-écrit 2 courts-métrages ensemble que l’on a auto-produits pour un budget de moins de 200 euros : ce sont donc les contraintes budgétaires qui ont guidé l’écriture. L’un a été tourné à Toulouse, l’autre à Toronto, en anglais, à l’occasion de la sélection du premier à un festival du film francophone. Toujours fascinée par le scénario, je me suis inscrite à une formation écriture de Sitcom de 6 mois UCLA à distance, qui recréait les conditions de travail d’une writer’s room.
« Plus tard, j’ai découvert les formations des Artisans de la Fiction, dont j’ai particulièrement apprécié les outils en narration littéraire. »
11 – Aurélie, est-ce que la formation « Écrire un conte de Noël” que tu as suivie aux Artisans de la Fiction t’a aidée pour « Noël en Solo » ?
AURÉLIE : Pas vraiment, car quand j’ai suivi la formation, en décembre 2023, le projet était déjà très travaillé dans sa version audiovisuelle. En revanche, en février 2024, je me suis mise à mon feel good, COMME UN MILLIER DE CONFETTIS, sur lequel il restait beaucoup de travail de structure avant de me lancer dans l’écriture.
« À ce moment-là, la formation ‘Écrire un conte de Noël’ m’a beaucoup servi. »
Je me suis en effet rendu compte que j’étais beaucoup trop gentille avec ma protagoniste, et qu’il ne fallait pas que j’hésite à la salir et à lui faire prendre de mauvaises décisions, sous peine d’écrire un truc complètement dans le pathos.
12 – Votre conseil à un écrivain qui voudrait écrire un feel good ?
THOMAS : Dans un thriller, un roman de SF ou un récit historique, on embarque les lectrices et les lecteurs dans un univers, que le narrateur nous fait découvrir. Dans un feel good, on trouve plus une sorte de reflet de nos vies, une version positive de notre vécu ou celui de nos proches.
« L’auteur partage des émotions à travers une histoire en forme de leçon de vie. »
Aussi, je crois que bien plus que pour tout autre type de récit, il est bon de puiser dans notre expérience. D’ailleurs, beaucoup de feel goods sont finalement nés d’un événement qui a touché personnellement l’autrice ou l’auteur.
- Ne pas négliger la structure. L’évolution et les sentiments des personnages sont importants, mais on ne peut pas se passer d’une structure solide.
- Ne pas se forcer. Il me semble que la sensibilité a une place très importante dans le feel good, et on n’a pas tous la même. On peut écrire un feel good sans être grandiloquent et sans aller trop dans le pathos. On peut faire passer les émotions du personnage de manière visuelle, dans les actions.
- Regardez en boucle et lisez des analyses de LITTLE MISS SUNSHINE !
- Ne déconsidérez pas ce genre : si votre travail est fait avec sérieux, ça se ressentira.
Si, vous aussi, vous désirez écrire une histoire de Noël, nous vous recommandons notre journée « Ecrire un conte de Noël » :
Si vous désirez vous former à la narration, nous vous recommandons les formations suivantes :