« Je passe 4-5 mois à écrire mon 1er jet puis 4-5 mois à réécrire la structure ligne par ligne »
Shari Lapena (née en 1960) est une romancière canadienne connue pour son roman policier « Le Couple d’à côté » (« The Couple Next Door », 2016), qui a été un best-seller au Canada et à l’étranger. D’abord avocate et professeure d’anglais, la carrière d’écrivaine professionnelle de Shari Lapena a débuté en 2008 avec la publication de son premier roman, « Things Go Flying ». Ce roman a été finaliste pour le prix Sunburst en 2009 et son deuxième roman, « Happiness Economics », a été finaliste pour le prix Stephen Leacock en 2012.
Les Artisans de la Fiction : Shari Lapena, comment travaillez-vous sur un roman ?
Shari Lapena : D’habitude je commence par une idée. Je ne sais pas où cette idée va me mener mais je pense qu’elle a le potentiel pour se développer dans la bonne direction. À ce stade là je ne sais pas où l’histoire va aller. Je suis cette idée et des choses commencent à se produire. Je construis beaucoup de fils narratifs simultanés et vers la fin de l’écriture je commence à comprendre comment l’histoire va se boucler.
Comme si vous développiez des hypothèses autour d’un problème ?
C’est un processus extrêmement organique. Je ne planifie pas la fin, j’ai besoin de voir comment les choses se déroulent, comment elles prennent de l’ampleur, puis je regarde comment ces événements affectent l’intrigue et comment l’intrigue les affecte et cela devient particulièrement complexe.
Réalisez-vous des recherches avant l’écriture ?
Je m’y connais un peu en sciences criminelles, ce qui m’évite de faire de faire beaucoup de recherches, sauf sur certains points. Pour mon livre, Le Couple d’à côté, par exemple, je savais que la protagoniste souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique donc j’ai dû lire à propos de ce sujet.
Au début je ne savais pas grand-chose sur ce personnage, à part qu’elle était déprimée et qu’elle laisserait son bébé à la maison tout en allant dehors, donc j’ai commencé à faire un peu de recherches. Mais, typiquement, je fais des recherches tout en écrivant. Et j’insère ce que je trouve.
Comment construisez-vous vos personnages ?
Je construis les personnages de la même manière que je construis mon intrigue : je pars avec l’idée d’un événement puis je pose des personnages que je connais peu. Je les insère dans cette situation et je vois comment ils agissent, ce qu’ils disent. Ensuite je commence à avoir une idée des personnages et en fonction des retournements de l’intrigue je vois comment mes personnages réagissent et je commence à les comprendre.
Je trouve plus facile de maintenir la tension en passant d’un point de vue à l’autre à chaque chapitre.
À quel moment choisissez-vous le point de vue ?
Avant d’écrire. Le point de vue est une décision que je prends toujours avant l’écriture, parce que sinon il faut tout réécrire. Jusqu’à présent dans mes thrillers, j’ai toujours utilisé un point de vue à la 3ème personne multiple. Je passe d’un point de vue à l’autre car j’aime vraiment être capable de suivre différentes lignes narratives avec des choses qui se déroulent en arrière-plan.
Si je suis limitée à la première personne, je ne peux pas saisir tout ce qui se passe dans l’histoire. Et je trouve plus facile de maintenir la tension en passant d’un point de vue à l’autre à chaque chapitre.
Réécrivez-vous beaucoup ?
Je réécris beaucoup. Quand j’écris mon premier jet je ne planifie pas donc je dois réécrire afin que tout fonctionne. Mon premier jet est très expérimental et donc une fois qu’il est écrit je commence à connaître l’histoire que les personnages vivent et je me mets à réécrire, à resserrer et à faire une meilleure histoire.
Combien de temps la réécriture vous prend-elle ?
À peu près autant de temps que l’écriture du 1er jet. Donc si je passe 4-5 mois à écrire mon 1er jet, je passe 4-5 mois à réécrire la structure, à réécrire ligne par ligne… Donc la moitié du temps est consacrée rédiger la première partie de l’histoire et la moitié est consacrée à terminer et améliorer.
Comment avez-vous appris comment fonctionne un roman ?
Chaque livre est un nouveau défi. Donc, je ne pense pas que ça devient plus facile. Je trouve que chaque livre est difficile à sa manière. Pour certains livres le début est plus compliqué, pour d’autres c’est la fin. J’ai appris beaucoup à propos de l’artisanat, comment faire fonctionner le livre, comment l’écrire. Je pense que je suis une meilleure écrivain aujourd’hui que je ne l’étais 3 livres en arrière mais c’est toujours une nouvelle expérience. Je ne sais jamais où cela va me conduire mais ça se résout toujours.
Si je suis limitée à la première personne, je ne peux pas saisir tout ce qui se passe dans l’histoire.
Avez-vous pris des cours d’écriture, ou lu des livres de technique littéraire ?
Je n’ai jamais pris de cours de creative writing. Au Canada, nous avons une école privée pour les écrivains où vous pouvez suivre un programme de creative writing et payer pour un mentorat par des écrivains célèbres. Vous leur envoyez votre roman et ils travaillent avec vous. Je me suis formée et j’ai été éditée de cette manière. Je n’ai pas pris de cours de creative writing, mais j’ai suivi des workshops d’écriture, ou plutôt des groupes d’écriture, mais j’ai trouvé cela perturbant, car trop de gens parlaient de trop de textes en même temps. Mais je trouve que travailler avec une ou deux personnes est particulièrement utile.
Quel a été le point technique le plus difficile à maîtriser pour vous ?
Pour moi, c’est l’intrigue. Je suis connue pour mes intrigues. Mes intrigues sont très bonnes. Mais l’intrigue est pour moi ce qu’il y a de plus difficile. C’est pour ça que je commence par l’intrigue dans ma réécriture, parce que dans un thriller l’intrigue doit être tellement compliquée, elle doit être serrée, elle doit générer tellement de suspens et vous devez la travailler pour qu’elle créer un maximum de suspens dans chaque scène.
Quel serait votre conseil à un apprenti écrivain ?
Je dirais à un jeune écrivain : la chose la plus importante est de trouver sa propre voix, parce qu’il y a tellement de voix et donc tellement de nouvelles manières de raconter des histoires. Votre voix c’est votre façon de raconter votre histoire, le point de vue. Je leur dirais de trouver quelque chose de différent, quelque chose qui parle pour eux, afin qu’ils n’écrivent pas quelque chose de la même manière que tout le monde, parce que ça ne marchera pas, donc je leur dirais : trouvez votre propre voix. Et pour trouver sa voix, je dirais : écrivez d’une manière excitante. Ne tenez pas compte du marché, écrivez ce qui vous excite personnellement et votre voix apparaîtra.
Interview, transcription et traduction : Lionel Tran
Remerciements à Quais du Polar.