Les thrillers et polars sont-ils condamnés au cliché ? Caroline Ripoll, éditrice chez Albin Michel, répond qu’au contraire, un auteur peut échapper aux stéréotypes en approfondissant ses personnages et en s’appropriant réellement son univers. Sinon, le risque est de livrer un récit “déjà-vu”.
Dans l’édition, on entend souvent dire qu’un manuscrit “tombe dans le stéréotype” lorsqu’il propose des personnages caricaturaux ou une intrigue standardisée. Caroline Ripoll, éditrice chez Albin Michel (après un parcours auprès de Joëlle Losfeld, Gallimard ou XO), met particulièrement l’accent sur ce risque. Dans une interview exclusive pour Les Artisans de la Fiction, elle souligne combien les stéréotypes nuisent à la crédibilité d’un roman, surtout dans les genres comme le polar, le thriller ou le roman noir.
« Le problème des manuscrits, c’est qu’on a souvent des choses très stéréotypées […] Des personnages assez caricaturaux parce que l’auteur ne s’est pas approprié complètement leur existence. »
Mais d’où vient le terme “stéréotype” et pourquoi cette notion touche-t-elle autant la création littéraire ?
1. L’origine typographique du mot « stéréotype »
À la fin du XVIIIᵉ siècle, le terme « stéréotype » n’avait rien à voir avec les clichés littéraires. Il désignait une technique d’impression bon marché : un procédé qui consistait à créer une plaque en relief (un cliché) à partir de caractères déjà composés, ce qui était plus économique, mais avec une qualité moindre. On obtenait ainsi une plaque “fixe” (du grec stéréos, « solide », et tupos, « empreinte ») permettant de reproduire un texte presque à l’identique, sans le recomposer.
Cette « fixation » du texte s’est ensuite muée en métaphore : un “stéréotype” est devenu toute idée ou image figée, reproduite sans variation et perdant sa subtilité.
2. Quand l’écriture se fige : la naissance des stéréotypes narratifs
En littérature, un stéréotype naît lorsque l’auteur use d’un schéma tout fait. Plutôt que d’explorer le vécu d’un policier, d’un médecin, d’un détective, d’un tueur, il se cantonne à une vision superficielle, calquée sur des récits déjà vus. Le résultat ? Des personnages mécaniques, manquant d’humanité ou de nuances.
« Les primo romanciers ont une vision d’horreur, une vision de commissaire, une vision… un peu caricaturale. »
La stéréotypie se remarque aussi dans la construction de l’intrigue. Certains thrillers reprennent “à la lettre” les recettes : un tueur en série, un trauma personnel, un twist final convenu. Or, pour Caroline Ripoll, l’essence d’un bon polar ou d’un bon roman noir tient à l’originalité et la sincérité du propos.
3. L’approche de Caroline Ripoll : donner corps aux personnages
Éditrice de Bernard Minier, Nicolas Beuglet ou Virginie Jouannet, Caroline Ripoll veille à ce que les personnages ne soient pas de simples « fonctions ». Pour elle, un protagoniste doit vivre dans le texte comme s’il existait en dehors :
« [Les auteurs] ne se sont pas demandé : “Qui est-il réellement ? Quelle est son histoire ?” On reste à la surface. »
Cette notion d’incarnation pousse l’auteur à dépasser l’image plate (commissaire désabusé, tueuse vengeresse…) et à s’approprier réellement son héros : lui conférer des failles, une singularité, une voix propre.
Concrètement :
- Travailler la biographie du personnage, même si on n’en dévoile qu’une partie.
- Vérifier qu’il parle “avec sa voix”, pas avec celle de l’auteur.
- Lier son passé aux enjeux du présent, pour éviter qu’il ne soit une marionnette sans épaisseur.
4. Comment éviter la stéréotypie ?
- Se poser la question : “Qu’est-ce que je veux vraiment raconter ?”
Caroline Ripoll constate qu’un auteur se précipite parfois sur l’intrigue (scénario) sans se demander pourquoi ce récit importe. L’histoire gagne en authenticité si l’auteur sait d’abord ce qu’il entend explorer (un thème, une émotion, un conflit intérieur), plutôt que de plaquer des situations génériques. - Ne pas survoler les personnages
Comme le souligne l’éditrice, l’auteur doit prendre le temps d’imaginer la vie quotidienne, les relations et l’histoire personnelle de chaque protagoniste, même secondaire. - Écrire au-delà des clichés du territoire
Si l’on situe un roman en Amérique alors qu’on est français, il faut s’y ancrer avec un regard original, éviter la simple imitation des univers “à l’américaine”. De même, pour un roman se déroulant en France, il faut un ancrage qui ne soit pas un décor “de pacotille”. - Accepter la réécriture
Selon Caroline Ripoll, une partie de son travail éditorial consiste à repérer les moments où le texte tombe dans une vision simpliste du héros ou du méchant, et à suggérer à l’auteur de creuser cette dimension. La réécriture devient alors un levier pour déraciner les stéréotypes.
5. Éviter les stéréotypes : un enjeu littéraire et humain
Sous-estimer l’importance d’un personnage secondaire, d’un décor, ou copier les recettes d’un thriller “parfait” conduira presque inévitablement à la stéréotypie. L’enjeu littéraire, pour Caroline Ripoll, est aussi un enjeu de crédibilité : un lecteur contemporain, confronté à une offre gigantesque de polars et de thrillers, n’adhérera pas à des figures sans profondeur.
« Ce qu’on voit beaucoup : des textes ultra-documentés, mais qui deviennent un catalogue de voyage. Rien n’est vraiment digéré par l’auteur. »
En d’autres termes, la documentation ou la familiarité avec un genre ne suffisent pas : il faut incarner, s’approprier, donner un souffle singulier.
Conclusion : casser la plaque typographique pour créer du neuf
Le terme “stéréotype” rappelle le risque de la reproduction à l’identique, comme dans l’imprimerie typographique à l’ancienne. Éviter les stéréotypes, c’est refuser de “plaquer” des idées toutes faites ; c’est forger une vision unique de son histoire, de ses personnages, pour proposer un univers vivant et authentique. Dans le travail éditorial de Caroline Ripoll, cette lutte contre le cliché rejoint une exigence de sincérité : au lieu de dupliquer des modèles, l’auteur doit se confronter à la réalité intime de son récit et y investir son originalité, bref… faire de la littérature, pas de la copie.
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