Maria Lerate (dite « Amélia Faille »), comédienne, metteuse en scène et désormais romancière, dévoile le processus d’écriture de son premier roman. Inspirée par une histoire vraie et par sa lecture du Colonel Chabert, elle livre un récit contemporain, porté par un travail minutieux sur la structure narrative et de multiples phases de réécriture. Dans cette interview, elle raconte comment les ateliers des Artisans de la Fiction lui ont permis d’affiner son style et de mieux comprendre les mécanismes de la narration.
Maria, votre 1er roman vient d’être publié, comment avez-vous travaillé sur ce livre ?
Le point de départ est une histoire vraie qui m’a beaucoup touchée, que j’ai entendu dans un reportage radiophonique : un homme est retrouvé à des centaines de kilomètres de chez lui et il n’a aucune idée de comment il est arrivé là. Il est devenu totalement amnésique. A ce moment-là, j’étais en train de lire “Le colonel Chabert”. Je me suis demandé si une histoire semblable pouvait se dérouler aujourd’hui avec les moyens de communication actuelle, s’il était encore possible de disparaître dans les années 2020.
J’ai commencé à travailler sur le roman il y a quatre ans, je n’avais encore jamais fait d’atelier d’écriture et j’y suis allée à l’instinct. J’ai analysé la manière dont Balzac avait structuré son roman et j’ai tenté de copier modestement sa manière de construire sa narration en l’adaptant au monde moderne. J’avais déjà une idée assez précise du personnage principal, ce qui m’a beaucoup aidé, et du lieu où elle vivait. Je me suis inspirée de la maison retirée dans un parc, où je vivais à ce moment-là. Bien sûr, l’histoire que j’ai écrite n’a plus rien à voir avec le roman de Balzac. L’histoire que je voulais raconter avait sa volonté propre. Il y a toutefois des similitudes qui restent dans la structure, comme la confrontation finale entre les époux.
Une fois que j’ai eu la structure globale, je me suis documentée sur le monde de la psychiatrie et sur le monde de l’art contemporain, puis je me suis lancée dans l’écriture. C’était pendant le deuxième confinement, donc j’avais beaucoup de temps. Je pouvais m’y consacrer pendant des journées entières. Cela m’a pris deux mois (le roman est court, il ne fait que 160 pages).
Une fois que le premier jet a été terminé, il y a eu de nombreuses phases de réécriture. Je l’ai fait lire à quelques personnes de confiance. J’ai encore retouché. Puis il y a eu le travail final avec l’éditrice, où nous avons peaufiné le texte et rajouté une scène.
Pensez-vous qu’il soit important de préparer l’écriture en amont (construction de personnages, de la structure narrative, de l’univers de l’histoire) ?
Oui et non. En ce qui me concerne, j’ai besoin de savoir où je vais, de connaître les grandes lignes directrices de l’histoire, d’avoir une idée assez claire des personnages et de l’univers dans lequel tout cela se déroule. Mais écrire, c’est aussi un voyage hypnotique où l’on part à la découverte d’un monde et on en apprend beaucoup sur les personnages et sur le récit au fil de l’écriture. On ne peut pas tout prévoir.
Une histoire est quelque chose d’organique, l’auteur ne peut pas lui imposer ses idées, elle a ses propres règles. Quelquefois ce qui semble une bonne idée au départ s’avère incompatible avec l’histoire qu’on raconte.
Vous êtes vous servi d’un modèle littéraire (que ce soit pour l’histoire, ou pour la manière de raconter) ?
En décortiquant le roman de Balzac “Le Colonel Chabert”, je me sentais un peu fautive comme si je trichais. Ce n’est qu’en suivant les ateliers des Artisans que je me suis rendue compte que c’était finalement une bonne idée… Je n’avais pas conscience de suivre un type d’intrigue, ce n’est qu’après-coup que j’ai réalisé que j’avais écrit une histoire de renaissance.
Concernant la manière de raconter, j’ai choisi le présent et le “je” parce que cela me semblait le plus évident. Je n’ai pas suivi consciemment un modèle, mais je lis énormément de livres où les auteurs ont fait ces mêmes choix, j’ai sûrement cherché à les imiter !
Vous êtes-vous fait relire ? A quel moment ? Pourquoi ?
Je me suis fait relire par un cercle de proches, mais seulement une fois que je pensais le texte acceptable et que le premier jet a été terminé. Je voulais savoir si ce que j’avais écrit était compréhensible. Au départ, je n’ai pas écrit ce texte avec l’idée d’être publiée, c’était davantage un exercice que je m’étais imposée à moi-même et je voulais avoir un avis extérieur.
J’ai eu de bons retours et des mauvais aussi, mais cela m’a considérablement aidé pour retravailler le texte.
J’avais aussi envie de le partager, de ne pas le laisser prendre la poussière au fond d’un placard et d’aller au bout du processus, c’est-à-dire d’aller jusqu’à la rencontre avec le lecteur.
Avez-vous beaucoup réécrit ?
Oui, énormément. Au niveau de la structure, j’ai complètement modifié la fin et rajouté des scènes. En ce qui concerne ma manière d’écrire aussi. J’ai beaucoup simplifié, j’avais une manière d’écrire pompeuse, avec beaucoup d’adjectifs, franchement je m’écoutais un peu écrire.
Le stage sur les outils de la narration m’a énormément aidé, j’ai compris qu’on touche plus directement le lecteur en étant simple et précis.
Depuis combien de temps écrivez-vous ?
J’écris des nouvelles depuis seulement cinq ans maintenant. Par contre, j’ai une pratique de l’écriture dans le spectacle vivant depuis une vingtaine d’années.
Vous êtes comédienne et metteuse en scène, comment vous êtes vous formée à la dramaturgie et à l’écriture ?
J’ai suivi les cours de l’Ecole Jacques Lecoq et me suis formée au clown, un théâtre physique et de jeu masqué, très éloigné des classiques du théâtre de texte. Mais c’est un théâtre de création où l’on met en scène des histoires et des situations. (D’ailleurs “ la dramaturgie” de Lavandier était déjà un de nos livres de chevet !) C’est donc de manière orale que j’ai appris les bases de la dramaturgie. En montant des spectacles vivants, j’ai appris à développer des conflits, à jouer de l’ironie dramatique…
Est-ce que la formation que vous avez suivie aux Artisans vous a aidé ? Sur quels points ?
Oui, beaucoup. Cela m’a permis de prendre conscience des ressorts qu’on utilise lorsqu’on écrit, j’ai découvert une formidable boîte à outils permettant de faire ressentir au lecteur les émotions du livre. J’ai aussi compris qu’une histoire doit être forte, c’est un voyage dont le lecteur sortira changer.
Comment vous y êtes vous pris pour trouver un éditeur ?
Une fois que j’ai fini le roman, je me suis demandé ce que j’allais en faire. Je voulais aller au bout de l’expérience, donc je l’ai envoyé à toutes sortes de maisons d’éditions qui publiaient de la littérature générale et qui recevaient les manuscrits par voie numérique (je n’y croyais pas trop, donc je ne voulais pas me ruiner en timbres et en impressions !). J’ai reçu des refus avec ou sans explications, j’ai aussi été accepté par des maisons qui proposaient des publications à compte d’auteur plus ou moins déguisées. Tout cela ne me convenait pas.
Par mon métier de comédienne, je sais à quel point il est difficile de faire la promotion et la diffusion de ses propres créations. C’est pourquoi j’avais un peu abandonné l’idée d’être publiée quand j’ai reçu la proposition d’Humbird & Curlew. J’ai bien aimé les retours très précis qu’ils ont fait sur mon roman (au moins j’étais sûre qu’ils avaient lu le livre !).
C’est aussi une petite maison d’éditions associative gérée par des auteurs. Il y a une dimension humaine qui me va bien.
Votre éditeur vous a-t-il fait retravailler le livre ?
Oui, j’ai travaillé avec Béatrice Galvan, qui est aussi autrice. C’était une super expérience. Elle me faisait des propositions que j’acceptais ou non. J’ai souvent accepté car ses retours étaient très pertinents. Nous avons fait deux relectures du texte, ce qui l’a considérablement amélioré. Pour moi, ce n’est pas un problème d’avoir des retours, au contraire.
J’aime beaucoup la réécriture, c’est comme un jeu, l’histoire est là mais reste à trouver la formule la plus adéquate pour la rendre vivante.
Travaillez-vous sur un autre projet ?
Oui, j’ai écrit une nouvelle que j’aimerais développer en roman, je ne sais pas encore si ce sera possible, mais c’est l’histoire d’un loser qui publie un roman que personne ne lit…
Un conseil d’écriture pour ceux et celles qui qui se lancent dans l’écriture de leur premier roman ?
Je suis encore bien novice en la matière pour donner des conseils, mais à mon idée, l’important c’est d’entretenir avec son histoire un lien fort, qu’elle vous touche vraiment et d’être persévérant, de ne pas se juger. Et aussi de beaucoup lire.
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Si comme Maria Lerate vous souhaitez vous former à la narration, nous vous recommandons nos formations suivantes :