Avoir abandonné un projet de roman en cours de route est le point commun de tous les apprentis écrivains et apprenties écrivaines. Comment aller au bout de son manuscrit ? Comment surmonter les blocages? Et surtout : qu’est ce qui a fait que l’on n’a pas réussi à terminer son manuscrit ? 4 auteurs de Science Fiction vous donnent leur avis sur la question.
Ah, le rêve d’être publié, aimé, admiré ! Qui ne fantasme pas d’avoir son livre, de le contempler en librairie, de se sentir enfin reconnu à sa juste valeur ? Selon un sondage publié en 2013 17 % des français écrivent, soit 11 millions de personnes. Et 1,4 million ont un manuscrit terminé dans leur tiroir. Ce qui veut dire que pas loin de 8 projets de romans sur 10 n’arrivent pas à terme.
En arrivant aux Artisans de la Fiction, beaucoup de nos futurs élèves nous disent désirer se former à la narration écrites, afin d’aller plus loin que les 30 premières pages de leur projet. Les problèmes qui les empêchent de finir leur projet de roman peuvent se résumer finalement à : “je ne sais pas ce que je fais, donc je finit par ne plus y croire”.
Le livre ne va pas “sortir de vous”.
L’idéal romantique voudrait qu’on l’ai ou non en soi ce talent d’écrivain et que le meilleur moyen de découvrir si on l’a, c’est de s’y mettre quotidiennement jusqu’à ce qu’un roman “sorte”. Alors on s’y met, tel Arthur tentant de retirer excalibur du rocher où elle est plantée. La question essentielle est “l’aies-je ?”. Et puis vient la pensée magique : se répéter « je sens que ça vient, ça arrive, là c’est en train de sortir, le LIVRE sort de moi, ça y est”, tout en noircissant les pages.
Jusqu’au moment où, même aux forceps, même en faisant du Yoga, même en s’enivrant ou en buvant du thé au milieu de la nuit, tout ce qui devait sortir est sorti. Et cela fait une pile de feuilles couvertes d’encre. Parfois la pile fait des centaines de pages, la plupart du temps quelques dizaines.
Pourquoi s’est on arrêté ? Parce que l’on ne savait ni ce qu’on faisait, ni où on allait, et que l’on a écrit intuitivement en s’efforçant de se faire croire des choses. Imaginez l’attitude que nous avons vis à vis de l’écriture transposée dans N’IMPORTE quelle pratique artistique : « je veux devenir danseur, mais sans apprendre, il va falloir que je danse dans ma chambre jusqu’à épuisement, sans analyser mes mouvements, ni observer comment dansent les danseurs professionnels ».
Écrire fait du bien
Certes, ça fait du bien. Écrire fait du bien. La pile de papier imprimée est un souvenir de ce bien être, rien de plus, et surtout pas un texte lisible, et encore moins un roman publiable. Donc une fois que l’on s’est efforcé de se faire croire des choses, on finit par se lasser, où plus cruellement, par sentir que cela n’aboutira à rien.
Les conseils qui suivent recommandent pourtant d’aller au bout de ses projets d’histoire. DE SES PROJETS D’HISTOIRES. Pas de son texte, de ce qui sort sous le coup de l’inspiration. Les anglo-saxons sont avantagés, car ils apprennent dès l’école primaire ce qu’est une histoire, comment elle fonctionne, comment créer un personnage. Cet apprentissage se fait en cours d’anglais. En France les élèves étudient aussi des textes littéraire, mais pas dans une visée pratique, il s’agit d’un apprentissage analytique (comprendre de quoi ça parle et quel est le contexte historique). Du coup, quand un français ou une française se lance dans l’écriture, c’est sans repères autre que le plaisir que l’on a pris en lisant.
Aller jusqu’au bout
Le romancier de Science Fiction britannique Peter F. Hamilton recommande d’aller au bout de ses projets d’écriture (attention, encore une fois : pour cela il faut avoir un projet identifiable, pas une vague inspiration) :
Peter F. Hamilton : Ca va sembler très cliché mais si vous continuez à écrire, juste le processus de l’écriture, vous apprendrez ce qu’est l’écriture, vous gagnerez en confiance. C’est le meilleur conseil que je peux vous donner : continuez à écrire.
L’auteur de Science Fiction anglais Alastair Reynolds conseille également de s’accrocher (mais pas à des chimères). Il souligne l’importance d’apprendre progressivement à construire et à terminer une histoire :
Alastair Reynolds : Un conseil très commun : écrivez beaucoup, produisez beaucoup de texte. Et une chose que j’ai appliqué dans ma carrière : finissez ce que vous avez commencé. J’ai une règle : si j’ai déjà investi 50% de l’effort nécessaire pour écrire une histoire, alors je vais jusqu’au bout. C’est toujours payant, on en retire toujours quelque chose.
Réaliser que la phase « tout est nul » fait partie du processus d’écriture
Alastair Reynolds : Je me suis rendu compte que quel que soit le projet, une nouvelle ou un roman, quel que soit le niveau que l’on ait, lorsque l’on commence à écrire, tout est super. Puis arrive un point où l’on perd confiance. On se dit que le texte est merdique, “pourquoi j’ai commencé ça ?”. C’est le moment où beaucoup d’écrivains abandonnent le projet et passent à un suivant. Et la même chose arrive sur l’autre projet et finalement ils ne terminent jamais rien, et n’apprennent jamais comment conclure une histoire. Aujourd’hui encore pour chaque texte, je passe par ce point où je me dis que tout est nul. Mais je sais que ça fait partie du processus d’écriture et je m’accroche, je boucle le projet.
Finir ce que vous commencez
Alastair Reynolds explique également comment ne pas se laisser démoraliser par un refus. Attention sur ce point également : la plupart des aspirants ne sachant pas ce qu’est un roman et s’étant lancés dans “l’écriture”, basculent dans la paranoïa une fois leur manuscrit illisible refusé, et imaginent s’être heurtés au complot des éditeurs ligué contre les jeunes auteurs.
Il conseille de continuer à écrire une fois que l’on envoie un manuscrit, car cela fait partie du processus d’apprentissage et de l’artisanat du romancier :
Alastair Reynolds : Ensuite je l’envoie à un éditeur, une revue ou un site web, et je commence un autre projet. L’avantage de commencer à travailler sur un autre texte, c’est que quelques semaines après l’envoi, quand l’éditeur vous contacte pour vous dire que votre nouvelle est pourrie, qu’il n’en veut pas, et bien vous vous en fichez. Votre investissement émotionnel a déjà basculé sur votre nouveau projet. En revanche si l’éditeur vous dit qu’il a aimé ce que vous avez envoyé, alors ça vous donne énormément d’énergie pour le projet en cours.
Alors voilà ce que je conseille : finissez ce que vous commencez, puis attaquez autre chose. Et ne passez pas des années à essayer de peaufiner le même texte. Écrivez plutôt beaucoup de textes différents.
Ok, les anglais et les américains apprennent à écrire dès l’école primaire. Mais du coup, comment font les français ? Se forment-ils tous seuls ? Ou alors y a-t-il un phénomène de sélection naturelle, qui comme pour les spermatozoïdes, veut qu’il y ait un manuscrit gagnant sur un million ?
Comprendre que le texte forme un tout
L’auteur de Science Fiction et de Fantasy français Mathieu Rivero raconte comment il parvient à aller au bout de ses projets de roman : en travaillant et en retravaillant le texte, la construction, en écrivant et en écrivant.
Mathieu Rivero : Si quelque chose ne va vraiment pas, un détail ou un élément, je préfère continuer et aller au bout de ma scène – voir carrément au bout du roman – et noter tout ce qu’il faudra corriger, tout ce sur quoi il faut revenir ensuite. Parfois, il y a un problème à un endroit précis, mais ça ne peut être corrigé qu’en corrigeant quelque chose d’autre ailleurs.
L’écriture c’est de la réécriture
Mathieu Rivero : Le texte est un tout, donc ce n’est pas un élément qui sonne faux… enfin, un élément peut sonner faux mais la cause est peut être ailleurs. Par exemple, si on veut absolument qu’une réaction soit calibrée, qu’un personnage fasse quelque chose à un moment donné, mais que les comportements une ou deux scène plus tôt, un ou deux chapitres plus tôt, ne correspondent absolument pas à ce personnage là et à la réaction qu’il va avoir, qu’est-ce-qui est le plus important ? La scène précédente ou ce que j’avais envie d’écrire à ce moment là ? Donc j’écris, et quand le livre est complet, je vais pouvoir jauger, juger, et décider quelles scènes je garde et quelles scènes je modifie.
Persévérer dans le temps
Beaucoup de romanciers nous ont révélé avoir commencé à écrire dans l’enfance (la maîtrise des écrivains ayant grandi dans des pays où la narration s’enseigne à l’école en est évidemment renforcée). C’est le cas du romancier anglais Paul J. McAuley :
Paul J. McAuley : J’ai commencé à écrire très jeune. Gamin j’étais un lecteur vorace. À l’adolescence je lisais beaucoup de science-fiction. Enfant, quand on nous proposait de rédiger soit un essai, soit une histoire, je choisissais toujours l’histoire. Très jeune j’ai essayé d’écrire une paire de romans… Sauf qu’il faut beaucoup de concentration pour écrire un roman ; or quand on est jeune on est distrait, hyperactif, on est intéressé par trop de choses à la fois, donc terminer quoi que ce soit est quasi-impossible. Alors je n’ai fini aucun de ces romans. Mais des années plus tard, je m’y suis remis. Vers 25, 26 ans, quand je préparais mon doctorat en biologie… Quand mon premier roman a été publié, je faisais beaucoup de recherches.
Mais, même en commençant jeune, le travail d’apprentissage de l’artisanat du romancier sera long. Cela ne veut évidemment pas dire que les écrivains n’ayant pas commencé enfant n’ont aucune chance. Ils auront plus de travail d’apprentissage à rattrapper. Car tout romancier doit apprendre non seulement les règles du métier (les règles d’écriture), mais apprendre à les maîtriser, et cela prend du temps.
Apprendre à dépasser le point de non retour
Paul J. McAuley : Comme tout écrivain j’ai commencé par lire. À l’enfance je dévorais les romans. J’ai appris comme ça, sans suivre de formation. Mais je dirais que pour devenir écrivain, une étape vitale est de trouver ce qui fonctionne et ne fonctionne pas pour vous. Et la seule façon de le trouver, c’est d’essayer. Encore et encore, jusqu’à la fin d’une histoire. Puis étudier le résultat de façon critique. Il faut apprendre à relire son propre travail objectivement ; c’est la meilleure façon de comprendre ce qui marche ou pas. L’autre façon, c’est de voir si vous pouvez atteindre la fin de l’histoire. Très souvent on commence à écrire et on en arrive à un point où on ne peut plus continuer. Ça m’est souvent arrivé quand j’étais débutant. Apprendre à dépasser ce point de non-retour est crucial et demande beaucoup de pratique.
Pour conclure, comment aller au bout de vos projets ? Déjà en commençant par savoir ce que vous faites. Il s’agit bien sûr d’être ambitieux, mais de se donner les moyens de ses ambitions (croire que les autres sont des freins à nos désirs, n’est pas se donner les moyens de quoi que ce soit). Donc commencer par apprendre. Cet apprentissage est long, complexe, mais c’est ce qui fait la valeur de la narration écrite. Et assimiler que cet apprentissage durera toute la vie (comme tout apprentissage sérieux). Ensuite il s’agit de se fixer des objectifs accessibles : commencer par écrire des nouvelles pendant des années (en apprenant ce qu’est une nouvelles, pas en écrivant des “textes courts”), avant de passer à un projet modeste de roman gérable.
Si vous vous lanciez dans la construction d’une maison seul, sans matériel, et sans avoir étudié ce qu’est une maison, il y a des chances que tel votre désir de roman avorté, cette maison ne dépasse pas le petit tas de parpaings.
Aller plus loin
Ellen Kushner romancière de science fiction explique dans cette vidéo comment elle a réaliser que la plupart des manuscrits étaient en réalité impubiables et surtout illisibles.
Cet article vous a intéressé ? Lisez la version complète des interviews de Peter F. Hamilton, Alastair Reynolds, Christopher Priest et Paul J. McAuley.
Nous remercions toute l’équipe des Intergalactiques ainsi qu’Audrey Burki pour avoir rendues possibles ces interviews. Nous remercions tout particulièrement Loïc Moran, pour son aide précieuse lors de la conduction de ces interviews. Merci également à Alex Simon et à Bérénice de Pol pour les traductions complémentaires !
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