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Henry James et « L’Art de la fiction »


Fin XIXème, la production du roman traverse une mutation. Dans “Art de la fiction”, Henry James répond à une conférence d’un de ses contemporains, Walter Besant, qui défend l ‘art du roman comme un des beaux-arts. Henry James se réjouit de l’ouverture d’un espace de théorisation et s’en empare à la façon d’une joute publique pour parler de son Art de la Fiction. Que nous reste-il ? Que retenir aujourd’hui de la poétique du romanesque de Henry James ?

Henry James s’intéresse à tout ce qui s’écrit et se lit : dès le second paragraphe, il n’a rien à reprocher à Dickens et Thackeray que la « naïveté ». Il sait aussi que le roman s’affranchit encore d’une réputation corrompue chez les âmes bigotes, mais il incarne lui-même par son pragmatisme le tournant de la mécanique de précision en littérature.

“La seule raison d’être d’un roman est de s’attacher vraiment à reproduire la vie.”
“Le roman est l’histoire.”
Henri James croit au pouvoir du temps pour trier le bon grain de l’ivraie dans “la pléthore des oeuvres ».
“‘(…) les chefs-d’œuvres subsistent, répandent leur lumière, stimulent notre désir de perfection.”

Henry James met en garde ses semblables à trop vouloir enfermer le roman dans un rôle de prophylaxie morale, de propagande sociale, de médiocre divertissement flatteur de foules, ou pire, d’œuvre absolue et froide.
“La bonne santé d’un art qui s’attache à reproduire la vie d’aussi près, exige avant tout une parfaite liberté. Il vit d’exercice, et le sens même de cet exercice est la liberté.” —
“ La seule obligation que nous puissions d’avance imposer au roman est qu’il intéresse. »
Il renvoie aux artisans écrivains à leur capacité à discerner, à choisir pour créer et composer.

Écrire à partir de son expérience lui paraît fondamental, c’est travailler sur ses Territoires d’écriture, disons-nous aux Artisans de la Fiction.

« L’expérience n’est jamais limitée, et n’est jamais complète ; c’est une immense sensibilité, une sorte d’énorme toile d’araignée faite des fils de soie les plus ténus, suspendus dans la chambre de la conscience, et qui retient dans sa trame tous les atomes flottant dans l’air. C’est l’atmosphère même de l’esprit, et si cet esprit est imaginatif, elle attire à soi les plus subtils souffles du vivant, et elle convertit en révélations les pulsations même de l’air.”

Cette illustration d’un espace psychique vaste comme un cosmos contenant l’infiniment petit nous introduit à une vision de la littérature en fractales, où la partie contient le tout, et surtout nous guide vers le travail de transposition, comme nous l’encourageons aux Artisans de la Fiction.

Henry James défend la vitalité et le côté organique de la l’écriture, des histoires et de la littérature qui produisent “l’illusion de la vie”. Description, dialogue, action, thème et structure s’entremêlent sans jamais s’exclure.
“L’histoire et le roman, l’idée et la forme sont l’aiguille et le fil, et jamais je n’ai ouïe dire d’une guilde de tailleurs recommandant l’emploi du fil sans l’aiguille ou de l’aiguille sans le fil.”
Il se méfie des vendeurs de recettes toutes cuites, des lois formelles rigides et des carcans stylistiques poseurs.

La seconde partie de l’ouvrage se focalise sur notre Guy de Maupassant :

Henry James scrute Maupassant de long en large. Il a lu de lui tout ce qui est disponible. Nous vous épargnons les ergotages chauvins et les piques trempées de nationalisme racial. Bien sûr, il juge directement Maupassant pour une multitude de raisons, mais il lui tire aussi son chapeau, en appelant à la future production britannique du roman social qui n’existe pas encore d’en prendre de la graine.
Henry James, le plus gentleman des écrivains américains, fait mine de découvrir Maupassant par le petit bout de la lorgnette alors qu’ils se sont déjà frottés les coudes dans les salons parisiens. Il le trouve tout d’abord meilleur narrateur qu’essayiste.
Puis il contourne curieusement la bête, entre répulsion et fascination. Il trouve Maupassant et son écriture sur-sensuelle couplée d’une « dureté fondamentale » inconvenante pour les femmes. Malgré tout, il concède généreusement que c’est cette sensualité qui crée l’illusion d’un réel perçu. 

Le goût net de Maupassant pour la médiocrité sociale, pour les trajectoires tragiques de la misère noire et pour la fange psychique de l’homme incommode et embarrasse presque Henry James. Et pourtant, il trouve admirable son artisanat net et efficace (rappelons-nous, Henry James avait pour frère William James, le père du pragmatisme américain).

Henry James juge aussi Maupassant pour sa fixette sur les sujets licencieux, graveleux, portés-sous-la-ceinture et immoraux – pas très noble tout ça -, et en même temps, il concède en invoquant avec un inhabituel lyrisme que la littérature britannique gagnerait à « explorer cet épais crépuscule ». “Puisse-t-il susciter des chefs-d’œuvre dans les années à venir !”
Afin de tempérer cet élan trop fraternel, il lui reproche ensuite d’être trop sur le constat, pas assez sur l’intrigue et que surtout, ses protagonistes n’ont pas de psychologie rationnelle, mais sont mus par la “simple satisfaction d’un instinct.”
Et bien, Maupassant, grand-père du roman noir, n’avait aucune prétention aristocratique, connaissait bien ses ficelles et il savait ce qu’il avait à raconter : souvent des histoires de mufles et d’oies blanches, de bonnes bafouées et de bâtards sans père. 

James lui reproche juste l’inconvenance qu’il dénonce. 

On perçoit de réelles différences d’approche liées aux origines et à l’expérience de ces deux grands écrivains qui se sont croisés en leur siècle.
Nous vous invitons chaleureusement à vous pencher sur l’écriture de ces deux monstres littéraires.

 

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