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John Banville – La difficulté d’écrire de la bonne fiction


Grâce à la Villa Gillet, nous avons rencontré le grand écrivain irlandais John Banville, dont les romans (La mer, Booker Prize 2005), polars, nouvelles et pièces de théâtre sont lus et traduits dans le monde entier. L’entretien se déroule avant sa conférence croisée (Les dialogues sur la fiction) avec l’auteur thaïlandais Pitchaya Sudbandthad et au même moment que la sortie en français de son dernier roman Madame Osmond chez Robert Laffont. Madame Osmond qui se veut être la suite du roman d’Henry James Portrait de femme, reprend et déploie la trajectoire d’Isabel Archer tout en réinventant la langue du célèbre auteur américain. Lors de cette interview, John Banville revient sur ce qu’il l’a encouragé à écrire de la fiction ainsi que sur la place de l’imitation dans la recherche de sa « propre voix ».

Comment apprendre à écrire de la bonne fiction ?

 Johan Banville explique la difficulté d’écrire de la bonne fiction. Son intérêt pour l’écriture naît à l’âge de 12 ou 13 ans, quand un.e de ses frères et sœurs lui offre le grand recueil de nouvelles de James Joyce Les gens de Dublin. Cette lecture a pour lui été une découverte : « la fiction et la littérature pouvaient parler du quotidien. » Ce ne sont pas des histoires de détectives ou du Far West qui lui donnent goût à la littérature, mais le fait de lire sur la vie ordinaire. Néanmoins, il reprend les mots de Joyce avec lesquels il est en accord : « Je n’ai jamais rencontré une personne ordinaire, et vous ? »

Cet engouement pour Joyce l’a décidé à emprunter l’encombrante machine à écrire Remington de sa tante, et à écrire encore et encore, pendant longtemps, des imitations des nouvelles du recueil Les gens de Dublin. Il commence à écrire vers l’âge de 14 ans, beaucoup, puis à 17 ans il se décide à en terminer une nouvelle, qu’il juge de qualité médiocre mais qui lui a donné la sensation de ne plus lui appartenir, ainsi que la certitude de vouloir devenir écrivain. En effet, pour John Banville, un écrivain, comme une mère avec son enfant, donne corps à un ouvrage qui ensuite « ne lui appartient plus ».

 Faut-il toujours continuer à imiter les auteurs que l’on adore ?

 « Non, il faut trouver sa propre voix. » : John Banville qui pendant longtemps a imité ses auteurs préférés affirme qu’au bout d’un certain temps il faut « écrire à partir de ce qu’il y a en soi ». Bien que selon lui on n’entende toujours « des voix quand on écrit », bien qu’on soit influencé par les auteurs qu’on lit et bien que l’on trouve leurs écrits « miraculeux » ou encore « surhumains » comme c’était le cas pour Banville avec Joyce, Beckett, Henry James ou encore W.B. Yeats, il faut se rendre compte que ce sont des « êtres humains comme nous ». Et il arrive un jour où l’on conçoit que « ce n’est peut être pas aussi bon qu’eux, mais ça nous convient ». L’œuvre, de cette façon, n’appartient plus à l’auteur, et cela libère un peu de cette pression de la réussite et de cette comparaison systématique.
Néanmoins, il souligne l’importance de « rester humble face au langage car il est une forme difficile ». Banville avoue avoir toujours envié les peintres – la peinture étant un domaine qu’il n’a jamais su maîtriser – car contrairement à la peinture, le langage est une forme complexe car il ne signifie pas toujours ce que l’auteur a voulu signifier. Le langage cherche à détourner, à résister, à exprimer ce qu’il veut exprimer malgré que ce soit les mots de l’auteur. C’est cette particularité du langage que Banville trouve « merveilleuse et fascinante. » L’écrivain est donc constamment en lutte contre le langage qui est à la fois captivant et trompeur.

 Comment savoir qu’une histoire sera à la hauteur ?

Il n’y a pas de certitude sur la qualité d’une histoire. John Banville lui-même admet qu’une fois un de ses livres terminés et envoyés à un éditeur, il est en proie au doute et se dit « que personne ne va vouloir publier cela. »

Selon John Banville, l’écriture ne devient ni « plus simple » ni plus « difficile » mais seulement « plus intéressante » avec la pratique. À 75 ans, il reconnaît être encore « dans l’apprentissage de l’écriture » tout en ayant la conviction qu’il « ne sais pas écrire ».

Néanmoins, il souligne l’importance de l’énorme quantité de travail que produit un écrivain, qui différencie selon lui « les vrais écrivains de ceux qui veulent devenir écrivain simplement pour la notoriété mais sans fournir le travail nécessaire ». Banville explique avoir fini un livre en août dernier sur lequel il travaillait depuis environ cinq à six ans, et l’admiration de certains de ces amis face à sa persévérance. Pour lui, il ne pourrait pas se dire écrivain s’il abandonnait (à moins d’être arrivé à épuisement) et s’il pensait déjà être au point où il est devenu le meilleur écrivain possible. Pour expliquer sa pensée, il reprend les mots de Paul Valéry : « une œuvre n’est jamais finie, juste abandonnée. »

 Quel conseil donner pour ceux qui voudraient vraiment écrire une bonne histoire ?

 John Banville reprend le conseil que donnait Caton le Censeur (homme politique et écrivain romain) aux orateurs, politiques et écrivains en tout genre : « Rem tene, verba sequentur » (« Saisissez le sujet, et les mots suivront. ») L’essentiel est donc de se « concentre toujours sur son sujet » sans pour autant écrire ses sentiments personnels à propos de ce dernier car l’humeur au moment de l’écriture n’a pas d’importance. En effet, ce qui importe est d’« essayez toujours de décrire le monde tel qu’il est, pas sa façon de le voir. »

interview : Julie Fuster. Transcription et traduction : Pauline Suarez Perut. Article : Léa Ducourtioux
remercîments à Lucie Campos, directrice de la Villa Gillet pour sa confiance.

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