La littérature est-elle le domaine exclusif de quelques rares génies ou le fruit d’un héritage collectif que chacun peut s’approprier ? En France, l’arrogance et l’élitisme littéraire ont longtemps fait obstacle à la transmission d’un savoir narratif riche et diversifié. Alors que certains continuent de vénérer l’idée d’un don inné réservé à une élite, d’autres prônent un partage généreux et démocratique de l’art d’écrire. Cet article met en lumière les enjeux de cette dichotomie et explore les conséquences de la non-transmission littéraire dans notre système éducatif. L’heure est venue de repenser notre rapport à la création littéraire et de redonner à chacun les clés de cet héritage culturel essentiel.
La question de savoir si la littérature est un talent inné ou un héritage transmis a longtemps suscité des débats passionnés. D’un côté, certains estiment que l’écriture littéraire repose sur un don naturel, une capacité innée à manier les mots et à créer des mondes imaginaires. De l’autre, il y a ceux qui voient dans la littérature un art qui s’apprend, se transmet et se perfectionne au fil du temps, à travers l’éducation, la culture et la tradition. Cet article explorera ces deux perspectives en examinant la notion d’inné dans le champ de la littérature et surtout l’héritage (culturel, narratif, familial) et l’importance de la transmission. Nous nous pencherons également sur les enjeux sociétaux que pose la non-transmission dans un cadre d’études.
L’innéité en littérature : Le mythe du génie
L’idée que l’écriture littéraire est un don inné trouve ses racines dans le romantisme du XIXe siècle. Les romantiques, en rébellion contre le classicisme et ses règles strictes d’imitation, ont prôné une conception de la création littéraire basée sur l’originalité et l’inspiration personnelle. Comme le souligne Victor Hugo dans la préface de Cromwell, « que le poète se garde surtout de copier qui que ce soit, pas plus Shakespeare que Molière, pas plus Schiller que Corneille ». Cette vision romantique de l’écrivain démiurge, créant à partir de son âme et de son cœur, sans influences extérieures, a durablement marqué la culture littéraire française.
Cependant, cette notion de génie littéraire inné a été remise en question par de nombreux auteurs et théoriciens. Ursula K. Le Guin, dans son ouvrage Conduire sa barque (Steering the Craft: Exercises and Discussions on Story Writing for the Lone Mariner and the Mutinous Crew), insiste sur l’importance de l’apprentissage et de la pratique dans l’écriture. Pour Le Guin, écrire est un art qui nécessite des techniques, une maîtrise des outils narratifs et une constante révision de ses propres écrits. Elle démontre que le talent peut être cultivé et perfectionné à travers un travail acharné et une pratique rigoureuse.
» Pensons-nous qu’un plombier réparerait l’évier de notre cuisine sans outils? Pensons-nous qu’un artiste se dresserait et jouerait du violon sans avoir appris comment on joue du violon? Écrire une phrase qui exprime fidèlement ce que vous souhaitez dire n’est pas plus facile que la plomberie ou le remaniement de l’archet. Cela requiert du savoir-faire. » Ursula K. Le Guin
Pour rester dans l’image du génie, Mozart lui-même est né dans une famille de musiciens qui lui ont transmis le goût de la pratique, et il a dû apprendre à lire et écrire le solfège en cultivant ses aptitudes personnelles. Il a également interprété les œuvres de ses prédécesseurs avant de composer par lui-même. Le talent sans travail reste lettre morte.
L’héritage littéraire : transmission culturelle et familiale
L’héritage littéraire, quant à lui, met en avant l’idée que la littérature se transmet de génération en génération, à travers des influences culturelles, familiales et éducatives. Northrop Frye, dans The Educated Imagination, argue que la littérature est une forme de communication humaine, enracinée dans la culture et l’histoire. Pour Frye, la littérature est un moyen par lequel les sociétés transmettent leurs valeurs, leurs croyances et leurs expériences d’une génération à l’autre.
Cette perspective est soutenue par l’existence de nombreuses familles d’écrivains où le talent littéraire semble se transmettre. Par exemple, la famille Brontë ou les Dumas illustrent comment l’héritage familial peut jouer un rôle crucial dans le développement d’un écrivain. En outre, l’influence culturelle est également déterminante : la richesse du patrimoine littéraire d’un pays, les traditions narratives et les pratiques de lecture et d’écriture inculquées dès le plus jeune âge contribuent à forger de futurs écrivains.
L’importance de la transmission en littérature
La transmission de l’écriture littéraire ne se limite pas à la famille. Les institutions éducatives jouent un rôle crucial dans la formation des écrivains. En France, cependant, l’enseignement de l’écriture créative a longtemps été négligé. Violaine Houdart-Mérot, dans son interview « Pourquoi a-t-on cessé d’enseigner l’écriture en France ? », explique comment, à la fin du XIXe siècle, l’éducation française a abandonné l’enseignement rhétorique au profit d’une approche plus scientifique et analytique de la littérature.
Cette transition a conduit à une dissociation en France entre la lecture et l’écriture, où l’apprentissage de la critique littéraire a pris le dessus sur la pratique de l’écriture créative.
Baptiste Emile Dericquebourg, dans son ouvrage Le Deuil de la littérature, critique cette évolution en soulignant les conséquences néfastes de l’abandon de l’écriture créative dans l’enseignement littéraire. Selon lui, la focalisation sur l’analyse de texte et la dissertation a conduit à une diminution de l’intérêt pour la littérature et une perte de la créativité chez les étudiants. Il propose de réintégrer la pratique de l’écriture dans le curriculum pour revitaliser l’enseignement littéraire et permettre aux étudiants de mieux s’approprier les textes littéraires.
Les enjeux sociétaux de la non-transmission
L’absence de transmission de l’écriture littéraire dans le cadre éducatif pose plusieurs enjeux sociétaux. D’une part, elle contribue à un élitisme littéraire où seuls ceux qui ont eu accès à des ressources culturelles et éducatives privilégiées peuvent aspirer à devenir écrivains. D’autre part, elle limite la diversité des voix littéraires et la richesse du paysage littéraire. La non-transmission de la littérature empêche également le développement d’un lectorat critique et engagé, capable de dialoguer avec les textes et de participer activement à la vie culturelle.
La valorisation du don narratif en France
En France, la notion de don narratif est particulièrement valorisée, en partie à cause de l’héritage romantique. Les interviews et articles de l’école de creative writing Les Artisans de la Fiction montrent comment cette valorisation du don narratif persiste. Par exemple, l’interview de Violaine Houdart-Mérot met en lumière la résistance française à l’enseignement de l’écriture créative, perçue comme une menace pour la pureté de l’inspiration littéraire.
Cependant, des changements commencent à apparaître. Les formations à la narration proposées par Les Artisans de la Fiction, tentent de réintroduire l’enseignement de l’écriture dans le paysage éducatif français. Ces initiatives montrent qu’il est possible de combiner l’apprentissage des techniques narratives avec la valorisation de l’originalité et de l’inspiration personnelle.
Conclusion
La littérature est-elle un talent inné ou un héritage transmis ? La réponse se situe probablement entre les deux. Si certains aspects de la créativité littéraire peuvent être considérés comme des dons naturels, il est indéniable que l’écriture est un art qui s’apprend et se transmet. L’importance de l’héritage culturel, familial et éducatif ne peut être sous-estimée. En réintroduisant l’enseignement de l’écriture créative dans les programmes éducatifs et en valorisant à la fois la technique et l’inspiration, nous pouvons espérer encourager une nouvelle génération d’écrivains à explorer leur potentiel littéraire et à enrichir notre patrimoine culturel.
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