Peut-on vraiment apprendre à écrire sans modèles littéraires ? Certains prétendent que s’inspirer des autres brime la créativité. Pourtant, l’autrice Michèle Astrud nous prouve le contraire. Dans cet entretien exclusif, elle partage comment les œuvres de Richard Brautigan et Yoko Ogawa ont été essentielles dans sa formation d’écrivain.
La littérature est un artisanat qui se nourrit de lui-même. Les écrivains lisent, s’inspirent, et parfois même imitent pour mieux créer. Michèle Astrud, romancière française née en 1964 à Dijon et installée à Rennes, illustre parfaitement cette démarche. Avec dix romans à son actif et plusieurs distinctions, dont le prix Pierre Mocaer en 2005, elle nous offre un regard précieux sur l’importance des modèles littéraires dans le processus de création.
S’inspirer pour mieux créer
Dès l’âge de 20 ans, Michèle Astrud ressent l’appel de l’écriture. Mais comme beaucoup d’écrivains en herbe, elle cherche sa voie, son style, sa voix. Pour cela, elle se tourne naturellement vers les auteurs qu’elle admire.
« J’ai commencé à écrire vers l’âge de 20 ans et je m’y suis mise tout simplement en essayant de refaire ce que j’aimais chez les autres. Pas forcément en imitant, mais en m’inspirant des autres. »
Cette démarche d’apprentissage par l’observation et l’imitation est courante dans les arts. En littérature, il ne s’agit pas de plagier, mais de comprendre les mécanismes narratifs, les styles, les thématiques qui résonnent en nous.
Richard Brautigan : la révélation poétique
Parmi ses influences majeures, Michèle cite Richard Brautigan, écrivain américain connu pour son style unique mêlant poésie et prose.
« Richard Brautigan, c’est un auteur américain que j’ai découvert à 20 ans. Il a des titres un peu abstraits comme ‘La Vengeance de la pelouse’. C’est un auteur très poétique qui raconte des histoires de laissés-pour-compte en Amérique. »
La simplicité d’écriture de Brautigan, sa capacité à capturer l’essence des personnages marginaux, a offert à Michèle un modèle sur lequel bâtir sa propre voix.
Yoko Ogawa : la simplicité et la complexité humaine
Une autre influence déterminante est Yoko Ogawa, écrivaine japonaise renommée pour ses récits mêlant douceur et cruauté.
« J’ai bien aimé son livre ‘La Piscine’. C’est un texte très court, assez cruel, sur une jeune fille dont les parents s’occupent d’un asile pour orphelins. Ce que j’ai aimé chez elle, c’est sa simplicité d’écriture, le jeu au présent, et une exploration des sentiments. »
Ogawa offre des personnages complexes, ni héros ni anti-héros, naviguant dans des zones morales grises. Cette approche a aidé Michèle à explorer des sentiments plus nuancés dans ses propres écrits.
Se former à la narration par la lecture
Pour Michèle Astrud, la lecture est la meilleure école d’écriture.
« Je me suis formée à la narration par la lecture. Pendant très longtemps, ce que j’écrivais ne me plaisait pas. Mais j’ai continué jusqu’à la découverte de Ogawa, et cette simplicité m’a permis de faire des choses que j’aimais mieux. »
En lisant attentivement, elle a pu identifier ce qui fonctionnait dans les œuvres de ses modèles et l’adapter à sa propre écriture.
Briser les règles pour trouver sa voix
Si les modèles sont essentiels, il est tout aussi important de s’en affranchir pour développer sa propre identité littéraire.
« À un moment donné, je m’étais dit qu’on ne pouvait pas écrire en tant que femme en étant un personnage homme, ou écrire en tant qu’assassin. En me disant ça, je me suis dit que c’était complètement idiot. »
Michèle a alors choisi de défier ces notions préconçues.
« La première chose que j’ai faite, c’est de me mettre en tant que personnage homme et de décrire un jeune homme qui revient sur les lieux de son crime. »
En osant sortir des sentiers battus, elle a pu explorer de nouvelles perspectives narratives.
L’hybridation des genres
Michèle Astrud refuse de se laisser enfermer dans un seul genre littéraire.
« Je fais ce que j’ai envie de faire sans me poser de questions. J’ai écrit un conte qui part de quelque chose de très réaliste. J’ai écrit un roman policier qui, pour moi, n’en était pas un au départ. »
Cette liberté créative lui permet d’aborder des thèmes variés et de surprendre ses lecteurs.
L’importance de l’intuition dans l’écriture
Contrairement à certains auteurs qui planifient minutieusement leurs œuvres, Michèle privilégie l’intuition.
« Quand je commence un livre, je ne connais pas la fin. Si j’attends de connaître la fin, je ne commencerai jamais le livre. »
Cette approche organique lui permet de laisser ses personnages évoluer naturellement.
« C’est dans l’écriture que le personnage va se préparer. Des fois, j’ai l’impression qu’il prend des décisions par lui-même. »
Le travail de réécriture : affiner sa prose
Si l’intuition guide la première ébauche, le travail de réécriture est essentiel pour peaufiner l’œuvre.
« Je relis énormément. J’aime bien laisser passer plusieurs mois, jusqu’à six mois, et reprendre un livre. Cela permet d’avoir un œil neuf et très critique. »
Cette distance temporelle offre la possibilité de repérer les incohérences et d’améliorer la structure narrative.
L’impact des technologies sur la créativité
Interrogée sur l’émergence des intelligences artificielles dans la création artistique, Michèle reste confiante.
« J’ose espérer que le cerveau humain, avec sa folie, peut aller n’importe où. On peut imaginer n’importe quoi, faire des rapprochements improbables. C’est notre seul avantage face aux machines, ne nous leurrons pas. »
Elle souligne que l’unicité de la pensée humaine est irremplaçable.
Conseils aux écrivains débutants
Michèle Astrud offre des conseils précieux à ceux qui souhaitent se lancer dans l’écriture.
Commencer petit
« Commencer par une petite chose, une petite histoire, vraiment quelques pages, et la laisser reposer. »
Il est important de ne pas se mettre trop de pression dès le départ.
Persévérer malgré les blocages
« Il ne faut pas se bloquer. Si on a envie d’écrire une histoire, c’est qu’il y a quelque chose dedans qui est important. Il faut faire confiance à soi. »
Les périodes de doute sont normales, mais la persévérance est clé.
Faire preuve d’audace
« Il faut tester, ne pas être trop ambitieux au départ, mais oser sortir des sentiers battus. »
Conclusion
L’expérience de Michèle Astrud démontre que les modèles littéraires sont essentiels pour forger sa propre voix. En s’inspirant des auteurs qu’elle admire, tout en osant briser les règles et explorer de nouvelles voies, elle a su développer une écriture authentique et personnelle. Son parcours est une invitation pour tous les écrivains à lire, à s’inspirer, mais surtout à oser.
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