Fabrice Neaud est une figure emblématique de la bande dessinée autobiographique en France. Son œuvre la plus marquante, Journal, publiée entre 1996 et 2002, et dont la suite Le dernier sergent est publié depuis 2023, est une référence incontournable dans le domaine. Cet entretien avec Neaud, réalisé pour Les Artisans de la Fiction, offre une plongée fascinante dans sa démarche artistique, la narration autobiographique, et sa vision du récit.
Les Histoires Comme Outil de Réparation
Pour Fabrice Neaud, raconter des histoires va au-delà du simple divertissement. Il évoque une série télévisée, The OA, et explique comment la narration peut servir de soin pour les individus brisés.
« Le seul fait de raconter répare. Alors ne répare pas tout, ne guérit pas tout, ne permet pas d’être miraculeusement sauvé de tout. Mais en tout cas, ça répare, ça soigne. À mon sens, les histoires sont de l’ordre du soin. »
Cette vision holistique de la narration reflète une compréhension profonde de l’impact émotionnel et psychologique des histoires. Fabrice Neaud voit les récits comme des moyens de donner un sens aux expériences personnelles, de les transformer en quelque chose de plus grand, de plus universel.
L’Apprentissage de la Narration
Fabrice Neaud n’a pas suivi un parcours traditionnel pour apprendre à raconter des histoires. Il confie que son approche de la bande dessinée est ancrée dans le dessin avant tout : « C’est vraiment le dessin qui est premier chez moi et j’ai envie de dire même le portrait ou le paysage. » Il a appris les structures narratives en lisant énormément de bandes dessinées, de littérature et de poésie, développant ainsi une sensibilité unique au rythme et à la structure, influencée par son amour pour la musique classique.
Les Règles de l’Autobiographie
Fabrice Neaud admet qu’il existe des règles dans l’autobiographie, bien qu’elles soient souvent implicites et organiques.
« Il y a des règles. Il y a des débuts, il y a des fins, il y a comment on installe une tension, comment on la soulage. »
Ces règles, selon lui, sont similaires à celles des grands récits mythologiques, apportant une structure nécessaire pour maintenir l’intérêt du lecteur.
Maintenir l’Intérêt du Lecteur
Pour captiver son public, Fabrice Neaud insiste sur l’importance de la loyauté et du respect envers les personnes réelles qu’il représente.
« Déjà, il y a un minimum de loyauté de respect de la personne, même si dans mon travail, évidemment, ça pose énormément de problèmes qu’on va appeler le droit à l’image ou d’atteinte à la vie privée. »
Il met en place des structures narratives solides, installant des tensions et des résolutions qui reflètent la complexité du réel.
Raconter des Histoires en Bande Dessinée
Fabrice Neaud rejette l’idée que le but unique de la bande dessinée soit de raconter des histoires : « On pourrait faire un livre entièrement thématique qui soit un essai. » Cependant, il reconnaît que la narration reste un élément central, même dans des œuvres plus discursives. Il se confronte également à la question de l’identification du lecteur avec les protagonistes, soulignant l’importance de la confrontation intérieure pour la profondeur des personnages.
La Construction des Histoires
La méthode de Neaud pour construire ses histoires est unique. Contrairement à la pratique courante de storyboarding, il préfère improviser à partir d’une structure solide de notes et de croquis.
« Je me jette sur ma page sans storyboard, sans rien, avec déjà une idée extrêmement précise de ce que je dois y mettre. »
Cette approche permet de préserver la spontanéité et la vitalité du dessin, tout en maintenant une cohérence narrative grâce à une préparation rigoureuse.
Clarifier le Récit
La clarification du récit est un processus intégré à la réalisation même : « La clarification, elle se fait en même temps organiquement, en même temps que la réalisation des pages. » Pour Neaud, il est essentiel de garder la spontanéité du dessin jusqu’à la fin, tout en ayant une structure narrative solide dès le départ.
Conseils pour les Auteurs Débutants
Fabrice Neaud encourage les auteurs débutants à observer le réel avec attention.
« L’observation du réel, le réel est infiniment plus riche que ce qu’on a dans la tête. »
Il insiste sur l’importance de croquer, d’étudier le monde autour de soi, de saisir la complexité et la richesse de la réalité pour nourrir la création.
L’Impact des Intelligences Artificielles
Enfin, Neaud exprime des préoccupations sur l’impact des intelligences artificielles sur la bande dessinée et la création artistique en général. Bien qu’il reconnaisse leur potentiel, il critique leur utilisation pour pallier le manque de talent et d’effort.
« Il y a toute une génération de gens sans talent et qui ne travaillent pas… Et l’IA serait là pour venir égaliser les chances et offrir aux gens qui ne travaillent pas la création l’opportunité de faire des images, en se disant : « rien à foutre de piller tout le patrimoine artistique de l’humanité » ? «
Poster de Fabrice Neaud dessiné pour Les Artisans de la Fiction
Conclusion
L’entretien avec Fabrice Neaud révèle un artiste profondément engagé dans son art, conscient des complexités et des responsabilités de la narration autobiographique. Son approche, à la fois rigoureuse et spontanée, offre une perspective enrichissante sur la création en bande dessinée, soulignant l’importance de l’authenticité, de l’observation et du respect des structures narratives traditionnelles. Pour les passionnés de narration et de bande dessinée, les réflexions de Neaud sont une source précieuse d’inspiration et de sagesse.
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