La question de savoir si l’écriture est un don inné ou le fruit d’un apprentissage et d’une transmission culturelle reste un sujet de débat intense dans le monde littéraire. Dans une interview exclusive pour le site des Artisans de la Fiction, Sonja Delzongle, autrice de thriller française, partage ses perspectives sur la nature de l’écriture et les influences qui ont façonné son parcours. Cet article explore les propos de Delzongle, soulignant les aspects de l’inné et de l’héritage littéraire, tout en examinant les implications sociétales et éducatives de ces idées.
Sonja Delzongle affirme sans ambages que l’écriture est un don. « On vient au monde écrivain », déclare-t-elle, affirmant que ce talent ne peut pas être enseigné.
« Il n’y a pas d’école d’écriture. Moi, je suis vraiment campée sur mes positions. »
Cette conviction repose sur son propre parcours, marqué par une immersion précoce dans le monde des lettres grâce à son père, philosophe passionné de musique et d’art, qui l’a initiée et corrigée, sans pour autant suivre une formation formelle en écriture.
Delzongle décrit son processus d’écriture comme à la fois méthodique et instinctif. Elle parle de son travail de préparation rigoureux, de la construction de ses intrigues et de ses personnages, tout en laissant une place à l’inspiration spontanée. Cette dualité entre méthode et instinct est pour elle une preuve de ce don inné qui se développe et s’affine avec le temps et la pratique.
L’Importance de la transmission culturelle et familiale
Malgré sa position sur l’innéité de l’écriture, Delzongle reconnaît l’importance de la transmission culturelle et familiale.
« Mon père ne m’a jamais appris à écrire. Il m’a donné des conseils. Il m’a évidemment orientée, et me corrigeait beaucoup sur l’expression, l’orthographe, etc. » Ce soutien familial a été crucial dans son développement en tant qu’écrivaine, soulignant que même un talent inné nécessite un environnement nourricier pour s’épanouir pleinement.
Cette perspective rejoint les idées développées dans notre précédent article sur l’inné et l’héritage littéraire. Northrop Frye, dans The Educated Imagination, insiste sur la littérature comme forme de communication humaine enracinée dans la culture et l’histoire, affirmant que la transmission de ces éléments est essentielle pour le développement littéraire.
Un débat sur l’arrogance et l’élitisme
Les déclarations de Delzongle selon lesquelles « il n’y a pas d’école d’écriture » et qu’« on vient au monde écrivain » peuvent être perçues comme arrogantes ou élitistes. Cependant, elle explique que cette conviction ne relève pas de la prétention, mais plutôt de la reconnaissance de son propre chemin.
« Je ne suis pas prétentieuse en disant ça parce que sinon je dirais je sais tout faire, mais je ne sais rien faire d’autre. »
Cette position soulève une question polémique : l’idée que l’écriture est un don peut-elle exclure ceux qui n’ont pas eu la chance de grandir dans un environnement littéraire enrichissant ? En France, l’enseignement littéraire a longtemps négligé la pratique de l’écriture créative, favorisant une approche analytique et critique. Comme le souligne Violaine Houdart-Mérot, cette dissociation entre lire et écrire a conduit à une perte de la créativité chez les étudiants français.
La méthode d’écriture de Delzongle : Entre héritage et innovation
Sonja Delzongle s’inspire de nombreux modèles littéraires, allant des nouvellistes russes comme Tchekhov aux auteurs de romans gothiques comme Mary Shelley. Elle affirme :
« Je suis imprégnée de ce dont j’ai parlé tout à l’heure, y compris de poésie pas forcément contemporaine. »
Cette richesse d’influences se reflète dans son œuvre, où elle combine des éléments de différents genres pour créer des récits uniques.
Delzongle met également en avant l’importance de la cohérence dans l’écriture de thrillers, malgré son désir de « casser les codes ».
Elle explique : « Autant je revendique comme Dominique Fernandez l’invraisemblance dans le roman, autant la cohérence me paraît essentielle, dans notre domaine notamment. » Cette rigueur narrative est un exemple de la façon dont l’héritage littéraire et les conventions du genre peuvent être respectés tout en innovant.
La transmission de l’écriture : Un enjeu sociétal
L’insistance de Delzongle sur le don inné de l’écriture contraste avec la nécessité de la transmission des compétences littéraires pour assurer une diversité de voix dans la littérature. En France, l’absence d’une tradition d’enseignement de l’écriture créative a contribué à un élitisme littéraire, où seuls ceux ayant eu accès à un environnement culturel riche peuvent prétendre à une carrière littéraire.
Cependant, des initiatives comme les masters de création littéraire et les ateliers d’écriture tentent de combler ce fossé. Delzongle reconnaît leur valeur, bien qu’elle reste sceptique quant à leur capacité à former de véritables écrivains.
« Je respecte le besoin de certaines personnes d’avoir cet apprentissage, mais pour ma part, il n’y a pas d’école d’écriture. »
Conclusion
L’écriture est-elle un don inné ou le fruit d’un héritage et d’une transmission culturelle ? Sonja Delzongle, avec sa perspective unique, offre une vision nuancée de cette question. Si elle affirme que l’écriture est un talent inné, son propre parcours montre l’importance d’un environnement nourricier et d’une riche tradition littéraire. Le débat sur l’arrogance et l’élitisme littéraire reste ouvert, mais il est clair que pour que la littérature continue à prospérer, il est essentiel de combiner la reconnaissance des talents innés avec un soutien et une transmission culturelle adéquats.